Les banques africaines à la conquête de l’épargne nationale


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Les Africains investissent leur épargne sous diverses formes –vaches, bijoux, rouleaux de tissu, à peu près tout sauf en dépôts bancaires. Alors que la crise financière mondiale fait naître des inquiétudes sur une éventuelle diminution de l’aide au développement et des investissements extérieurs, les banques et les gouvernements africains tentent d’exploiter les richesses cachées du secteur informel par de nouvelles méthodes et grâce aux technologies modernes.

Et si les riches Africains décidaient d’investir leurs revenus en Afrique plutôt qu’en dehors du continent ? Et si les 80 % d’Africains sans compte en banque avaient accès à des services financiers ? Et si les gouvernements africains pouvaient investir de manière à produire plus de biens et de services ? Voilà les questions que des Africains de plus en plus nombreux se posent alors que la crise financière s’approfondit au Nord et pourrait réduire le montant de l’aide au développement et des investissements disponibles pour le continent.

La réponse, selon Samuel Gayi, économiste principal pour l’Afrique à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) est que “les taux d’épargne augmenteraient de façon importante et l’Afrique pourrait peut-être être en mesure de mieux satisfaire ses propres besoins.”

Une épargne à mobiliser

En Afrique, de nombreuses activités économiques se déroulent dans le secteur informel. De nombreux ménages ont des économies, mais “le problème est qu’elles sont conservées sous des formes non financières, ” déclare M. Gayi à Afrique Renouveau. Cette épargne n’est pas disponible pour des investissements qui créeraient de nouvelles richesses.

De nombreux Africains conservent encore la plus grande partie de leur épargne sous forme de bétail, de stocks de marchandises destinées au commerce, de céréales, de bijoux et autres biens matériels. Certains experts estiment qu’environ 80 % des avoirs détenus par les ménages ruraux d’Afrique le sont sous une forme non financière.

Avoir accès à cette épargne nécessite “l’introduction de nouveaux produits ou instruments financiers qui répondent aux besoins d’épargne des ménages”, estime M. Gayi. Des produits qui “permettent un accès facile” et autorisent “de petites transactions à intervalles fréquents” encourageraient les ménages à passer au système bancaire conventionnel.

Le Fonds d’équipement des Nations Unies (FENU) notait dans son rapport 2004 qu’au Rwanda environ un demi-million de comptes d’épargne avec livret, dont le montant moyen était de 57 dollars, avaient mis près de 40 millions de dollars en circulation en 2001. “La circulation appropriée de ces fonds sous forme de produits de crédit pourrait avoir un effet démultiplicateur important pour l’économie du Rwanda.” expliquait le FENU.

Investir dans l’innovation

Nombre de gouvernements et de banques changent la manière dont ils opèrent. Au Nigeria, les réformes de 2004 ont limité la participation de l’Etat dans les banques et introduit une plus forte concurrence. Après rachats et fusions, les banques survivantes ont été obligées de faire des efforts pour attirer la clientèle et la conserver. Le nombre de banques a diminué mais elles sont plus solides et le nombre de succursales s’est accru de plus de 600. Ceci a permis aux banques du Nigeria de pénétrer le marché d’autres pays de la région et d’offrir de nouveaux produits et services.

Après la “libéralisation“ du secteur bancaire au Ghana, United Bank of Africa a introduit un compte “zéro-depôt” qui permet d’ouvrir un compte sans, dans un premier temps, déposer d’argent. En 2006, Barclays Bank Ghana a commencé à travailler avec les prêteurs traditionnels connus sous le nom d’agents susu qui déposent l’épargne collective de leurs mandants à la banque ; ceux-ci rétribuent l’agent et peuvent solliciter des facilités d’emprunt par son intermédiaire.

Le susu est la plus ancienne forme de collecte de l’argent au Ghana. Dans ce système, un groupe fait une contribution régulière à un fonds commun détenu par un agent percepteur susu. Beaucoup de commerçantes des marchés préfèrent confier leur argent à un percepteur susu que de laisser leurs marchandises sans surveillance sur le marché pendant qu’elles vont à la banque. A la différence des banquiers traditionnels, les percepteurs susu passent à l’étal ou à la maison de leurs clients pour recueillir leur contribution. Il n’y a pratiquement pas de formalités pour le client. L’activité de ces agents percepteurs est fondée sur les rapports personnels, la confiance et différentes formes de garantie. Le Ghana compte environ 5 000 de ces percepteurs qui ont plus de 2 millions de clients. La banque Barclays collabore aujourd’hui avec 100 de ces intermédiaires et espère en recruter d’autres.

Au Bénin, à la suite de la réforme du secteur financier opérée dans les années 1990, le gouvernement a introduit un programme de caisses d’épargne rurales pour mieux servir les plus pauvres. Le FENU notait en 2004 que “l’économie a connu une croissance annuelle de 5 % au cours des cinq dernières années à la suite de ces interventions.” Les économistes affirment que des services bancaires et financiers adaptés aux besoins de la majorité permettent d’améliorer l’épargne nationale et de stimuler la croissance économique grâce à son investissement.

La contribution des nouvelles technologies

Les récents développements technologiques de la téléphonie mobile peuvent aider à améliorer l’accès des plus pauvres aux services financiers. Bien que peu d’Africains aient un compte en banque, selon l’Union internationale des télécommunications près de 80 millions ont un téléphone cellulaire. Les services bancaires par téléphone mobile sont de plus en plus populaires dans des pays aussi différents que l’Afrique du Sud, la République démocratique du Congo, la Zambie et le Kenya – les rendant accessibles dans des régions éloignées où les services conventionnels sont trop coûteux ou qui sont dépourvues de succursales bancaires.

Samuel Gayi de la CNUCED réclame encore plus de créativité et d’innovations : “les ressources nécessaires pourraient être mises en commun par un large rassemblement d’opérateurs financiers possédant d’importantes liquidités, comme les compagnies d’assurance, les banques privées ou les fonds de pension.” Ambitieuses ou modestes, conventionnelles ou non conventionnelles, conclut-il, “les politiques qui aident les pays africains à améliorer la mobilisation et l’utilisation de leurs ressources nationales pourraient ainsi profiter à l’économie en général.” D’autres experts ont souligné que si les pays africains mettaient sur pied des fonds d’investissement à long terme, les entreprises africaines pourraient contribuer à la réalisation du Nouveau partenariat de développement pour l’Afrique (NEPAD), le plan de développement à long terme de l’Union africaine

Efam Dovi, pour Afrique Renouveau

Photo : AP

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