Les aveux volés d’une prise de l’épervier


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Quelques semaines avant ma mise sous dépôt, un ancien ministre du budget avait été déféré. C’était mon ami. Tout à l’idée qu’il l’avait mérité et profondément gêné de ne pouvoir lui dire mon empathie, au nom d’une amitié sans avenir, je n’allai pas le voir à Kondengui. Ainsi va la gloire du monde, un jour tu bois du champagne, un autre tu trinques.

J’avais toujours fanatiquement accompli tous les ordres de Biya. Contrairement à mon ami, je n’avais jamais critiqué le président en public et j’assumais mon appartenance à ce système que je ne qualifiais pas de tous les noms d’oiseau. Mon ami avait certes pris trop de libertés avec l’argent public, comme nous tous, mais aussi avec une certaine réserve à laquelle il était tenu.

J’ai peut-être péché contre la fortune publique mais jamais je n’ai lorgné le pouvoir de Biya, mon heure, m’avait-on dit au village, viendrait après lui. Je n’avais donc, pensais-je, rien à craindre. J’avais tort ! J’avais négligé le fait d’avoir été l’ami d’un renégat, on pouvait me punir pour ce que je pouvais faire, devenir, ou être tenté d’apporter comme soutien au ministre déchu.

Il n’y a pas d’amis dans le pouvoir, ça ne s’améliore pas dans la déchéance

Quand la police avait perquisitionné chez moi, m’avait transporté à la police judiciaire sans convocation préalable et m’avait présenté au juge d’instruction, j’avais compris que j’étais une victime collatérale. J’avais surement été l’objet de calomnies et de soupçons en haut lieu. Je conclus bien assez vite que j’étais un vaincu parce que jamais je ne pourrais lutter contre ces ennemis invisibles.

Je tremblais de tout mon corps, de froid et d’horreur. Je me liquéfiais de honte. Je claquais des dents. Je pensais à toutes ces cérémonies traditionnelles, mystiques, villageoises où l’on m’avait anobli et assuré que je serais président de la république du Cameroun.

Quelle vie magnifique j’avais eue quand même ! J’ai serré la main de tant de puissants, j’ai été aux premières loges dans les assemblées des maîtres du monde, j’ai fait et défait bien des carrières, j’ai désespéré des ambitions… ! Mais cette fin-ci, jamais je ne l’avais entrevue. Paul Biya est un détourneur de destins publics, il m’a volé ma bonne fortune.

Ce qui m’a toujours caractérisé, c’est ma débauche grossière en privé et mon hypocrisie en public. Quand il faisait jour, je plastronnais, je m’emportais pour un oui pour un non, je tempêtais dans des verres d’eau, et je ne rigolais à aucune blague d’un collaborateur.

Si d’ailleurs un impertinent faisait de l’humour au lieu de m’applaudir, d’éclater de rire et de se répandre en flatteries grossières à chacune de mes anecdotes, je l’injuriais savamment avec des piques sorties d’une réserve sans cesse approvisionnée de formules vaches. Biya était le seul à avoir de l’esprit, la question n’est pas de savoir si je le croyais ou si je le pensais : je le disais parce que je le savais.

Quand j’étais dans le vice, je me lâchais, je rayonnais ; les prostituées sont pour moi des prêtresses de l’amour, un peu moins peut-être depuis que j’ai contracté une vilaine maladie. Cette syphilis m’a été refilée non pas par une fille publique, mais par la femme d’un ministre qui, même s’il est libre, n’en a plus pour longtemps. Il y en a qui sont libres, mais condamnés, debout mais vaincus, gigotent encore mais sont déjà morts.

Dieu merci cette maladie ne m’a pas été offerte dans un package, avec le sida par exemple. Je me rappelle cette fois en Afrique du Sud où je me suis oublié dans ma suite avec des prostituées alors que ma délégation m’attendait et les organisateurs de l’événement n’en revenaient pas du manque de sérieux des officiels camerounais, dont j’étais « pour le coup » un fidèle représentant.

Monsieur le président, nous implorons malgré tout votre grâce

L’heure du bilan a sonné. Le malheur s’est abattu sur moi comme la misère sur le pauvre monde… On m’a tendu un piège, et j’avoue que je ne m’y attendais pas. Pour autant je viens de le démontrer, en dépit des apparences, je ne suis pas un saint. Victime de l’opération épervier, je n’en suis pas moins coupable d’avoir avec d’autres contribué à ruiner notre pays !

Ce sont les Camerounais qui pâtissent de l’incurie de leurs gouvernements successifs, tous ceux qui ont été des responsables sont des coupables en puissance. J’ai cessé de m’inquiéter pour ma liberté, mon honneur a été jeté en pâture au nombre, il me reste cette petite vie qui est à la merci de mes ennemis, et cette syphilis galopante qui durcit mon séjour à Kondengui.

La vie d’un ministre, la fortune d’un commerçant, l’honneur d’un citoyen, la famille d’un suspect, tout ce que nous avons toujours considéré comme sacré, ne sont rien dès qu’il s’agit de la résolution d’un crime. Et les détournements de fonds publics sont malheureusement des crimes dans notre législation. Encore heureux que l’on ne nous pende pas comme à Taiwan !

Cette vie princière que j’ai menée… Dieu que j’étais hautain ! Quand certains de mes collaborateurs me saluaient, je leur répondais par une remarque désobligeante sur la laideur de leur cravate, j’ignorais la veuve et son orphelin quand ils venaient à solliciter des audiences, et je regardais les journalistes les plus impertinents comme des déchets, des cacas : c’est bien cela que valaient leur salaire et leur misère.

Je demande pardon aux Camerounais, qui n’ont pas toujours, pas même de ma part, su toute la vérité à laquelle ils ont droit. J’ai régulièrement des crises d’angoisse aigüe, je pense ma dernière heure venue : si je dis tout ce que je sais, ne me prendra-t-on pas pour un fou ? Ne le suis-je pas un peu de toute façon ?

Au début les gens se sont émus, maintenant chacun vaque à ses occupations, ma famille même est dispersée à travers le monde, plus grand monde ne pense à moi, d’autres détenus m’ont ravi la vedette, avant d’être à leur tour oubliés. J’ai compris que Biya m’a définitivement anéanti, quels que soient les revers de fortune qu’il pourrait aussi avoir, lui ou les siens, quelle que soit la grâce qu’il viendrait à m’accorder, et que je demande de toute mes forces, il m’a volé mon destin et ne pourra plus me rendre mon passé, tout ce que j’ai perdu. Depuis le verdict du juge, je pleure amèrement chaque soir avant de m’endormir. Comme un gosse. Et j’implore Dieu, qui a lui aussi toutes les raisons de ne pas m’écouter, de nous venir en aide.

Le Cameroun ne court pas à sa perte, mais ce n’est pas vers son salut qu’il avance non plus, son avenir est indéterminé. L’Etat camerounais n’a qu’un cerveau et qu’une seule âme, qui appartiennent à Biya et sont repartis dans les corps de tous ses ministres et de toute son administration. Pour comprendre l’opération épervier, il ne faut pas se fier aux apparences, les ministres ne sont pas des bipèdes. En vérité, ils marchent à quatre pattes comme n’importe quel mouton. Et il en va du Cameroun comme du maquereau, c’est par la tête qu’on a commencé à pourrir !

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