Wilfredo Lam est un artiste cubain, mort en 1982, encore peu connu en France. Pour admirer ses formes hybrides, influencées par l’art africain et les rites religieux afro-cubains, rendez-vous au musée Dapper à Paris jusqu’à janvier 2002 pour » Lam métis « .
Le Musée Dapper avait annoncé la couleur lors de sa réouverture : son espace devait s’ouvrir à la diaspora africaine et donc aux cultures caraïbéennes, afro-américaines et métisses d’Amérique latine. C’est chose faite avec » Lam métis « , exposition des peintures mais aussi céramiques et estampes de l’artiste Wilfredo Lam, né à Cuba en 1902 et mort à Paris en 1982.
» Lam métis, non pour dire son sang mêlé d’Afrique, d’Europe et de Chine (sa mère est hispano-africaine, son père chinois, ndlr) mais pour souligner une démarche exemplaire d’ouverture sur le monde qui se nourrit à de multiples sources « , souligne Jean-Louis Paudrat, commissaire de l’exposition avec Christiane Falgayrettes-Leveau, la directrice du musée. De Madrid à La Havane, de Paris à Haïti, Wilfredo Lam vogue au gré de ses rencontres : Pablo Picasso, André Breton, Aimé Césaire, Claude Lévi-Strauss, Pierre Matisse… ou encore Edouard Glissant.
Femme-licorne
Ce dernier égrène ses souvenirs : » Nous nous sommes rencontrés et fréquentés dans une période de dèche, il faut bien le dire. Et le souvenir que je garde de lui est très personnel : c’est celui de quelqu’un qui cachait un souci fondamental – le souci de l’esthétique – sous une gouaille légère et désinvolte. Comme tous les artistes, il combattait la dèche par l’humour et la plaisanterie « .
L’exposition n’est pas chronologique, s’attachant surtout à présenter en parallèle les objets d’art africains qui ont marqué et influencé Wilfredo Lam. Ainsi, la deuxième salle est scandée par des sculptures kanakes et néo-guinéennes et la dernière salle fait la part belle aux masques baoulés (Côte d’Ivoire) qui rappellent les têtes rondes, plates et cornues qui hantent l’oeuvre de Lam.
Les peintures du Cubain offrent au regard des êtres hybrides, à la croisée de plusieurs mondes. » La fiancée de Kiriwina » (1949) est une femme-licorne. Au milieu des rondeurs : une corne pointue et menaçante. Wilfredo Lam joue avec des instruments d’agression, des sabots, des dents de cheval, des cornes et même des couteaux, qu’il associe toujours à des formes fécondes. » C’est une esthétique nouvelle, ni cubaine, ni africaine, ni européenne « , remarque Edouard Glissant, » c’est la suprême maîtrise « .
Tête de cheval
L’une des sculptures africaines qui a le plus attiré l’attention du peintre et qui est exposée au musée Dapper est un heaume baoulé à cornes d’antilope, à visage humain schématique et à gueule de crocodile qu’il découvre dans l’atelier de Picasso, à Paris, en 1938. Lam le considérait comme une » tête de cheval » et il n’est pas sans rappeler celle du cheval de » Guernica « …
C’est lors d’un retour dans son île natale en 1941 – après 18 ans d’absence – que Lam va assister à diverses cérémonies des religions afro-cubaines, qui inspireront aussi son travail. » Ce qu’il y a de très fort dans les peintures de Wilfredo Lam, c’est la transformation radicale des attributs mythologiques des divinités qu’il représente. Ce n’est pas une peinture traditionnelle. Il n’y a pas ce côté folklorique dans lequel sont tombés beaucoup de peintres
cubains dans les années 90 qui reproduisent des scènes mythologiques telles quelles « , explique Erwan Dianteill, anthropologue qui a étudié sur le terrain les religions cubaines d’origine africaine.
Epure enluminée
L’exposition du musée Dapper est donc l’occasion de découvrir une oeuvre peu connue matériellement en France et aux Antilles, mais qui a fortement influencé le monde latino-américain, touchant des peintres cubains mais aussi nord-américains dans les années 80. » Lam a créé un espace dans lequel il a laissé s’épanouir ses influences afro-cubaines. Il a apporté un modèle, une façon de parler picturalement de cette culture « , note Julia P. Herzberg, historienne de l’art américaine, spécialiste de la diaspora africaine aux Amériques.
Wilfredo Lam a aussi laissé un héritage en Afrique. De nombreux plasticiens du continent, au Mali et au Sénégal notamment, se réclament de lui et de son oeuvre, » épure enluminée de tous les possibles du monde » comme la décrit le vieux complice Edouard Glissant. Une oeuvre métissée et moderne.
» Lam métis » du 26 septembre 2001 au 20 janvier 2002.
Musée Dapper. 35, rue Paul Valéry. 75116 Paris – France. 00 33 1 45 00 01 50.
Ouvert tous les jours de 11 à 19 heures.