Des archives sur l’esclavage seront bien vendues aux enchères à Lyon (France) ce mercredi, mais aux autorités publiques et non à des particuliers, comme aurait pu le laisser entendre un grand quotidien français. La méprise avait causé un haut le cœur à certaines associations de l’Hexagone. Elles avaient en effet décidé de manifester et de faire appel à la classe politique pour une suspension, voire une annulation de la vente.
La communauté africaine de France peu souffler : les archives sur l’esclavage, qui seront vendues aux enchères ce mercredi à Lyon (Sud de la France), ne deviendront pas propriété de particuliers, mais des autorités publiques. Certaines associations avaient compris, suite à un article paru dans un grand quotidien de l’Hexagone, que ce patrimoine historique allait se retrouver entre les mains de particuliers et donc échapper à la consultation publique. Révoltées, plusieurs associations avaient promis de manifester, d’autres appelaient au bon sens de la classe politique pour que soit suspendue, voire annulée, la vente aux enchères honnie.
Ce qui a manifestement provoqué la colère du monde associatif noir, c’est que l’article, qui détaille essentiellement les œuvres qui seront vendues, ne précise pas que ces enchères ne seront pas publiques. « Près de 500 lettres et manuscrits, provenant d’archives familiales ou commerciales, seront vendus à Lyon mercredi 12 janvier. Cet ensemble aborde des thèmes divers, en particulier un sujet jusqu’à présent peu étudié, la traite des Africains aux XVIIe et XVIIIe siècles », peut-on lire dans Le Monde du 6 janvier 2005.
Les archives nationales ne seront jamais privées
Alain Ajasse, expert auprès de nombreux commissaires priseurs qui a travaillé sur cette vente, apporte un éclairage indispensable. « Les documents en question constituent à peine une dizaine de lots sur toutes les enchères de mercredi. Ils seront exclusivement préemptés par les pouvoirs publics. Et il ne peut pas en être autrement puisqu’ils font partie du patrimoine national », explique le spécialiste, qui précise que ce n’est pas la première fois que sont organisées des enchères où sont proposées des documents en rapport avec la traite négrière.
Alain Ajasse revient sur la façon dont les archives sur l’esclavage, de même que les autres, se retrouvent aux enchères. « Parfois, les gens veulent se débarrasser d’objets ou documents anciens lors d’un tri de grenier, par exemple. Ils peuvent se tourner vers les antiquaires ou encore les brocanteurs, mais certains vont s’adresser à un expert pour savoir ce qu’ils valent. Après étude, et selon l’importance du document, il en référera à la direction nationale des archives. Elle recherchera s’il figure déjà dans les archives, si ce n’est pas le cas, il sera vendu aux enchères. C’est la seule façon légale et juste de faire passer un document du domaine privé au domaine public. Cela permet de récupérer des documents dont on pouvait ignorer l’existence, puisqu’ils sont gardés par les familles. Personne n’y perd car le patrimoine et la mémoire nationaux s’enrichissent et la personne à qui appartenait le document est dédommagée », souligne-t-il. Il n’y a en somme aucune chance que des archives, quelles qu’elles soient, se retrouvent vendues aux enchères.
Colère aveugle de certaines associations
Toutefois, certaines associations ont simplement vu, en l’article du journal français, une menace sur l’héritage d’un pan peu glorieux de l’Histoire. Et une violation de la loi. Patrick Karam, Président du Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais, a ainsi dénoncé sur le site une mesure qui va à l’encontre la loi de 2001 visant à « améliorer la recherche, la connaissance et la diffusion sur la traite négrière et l’esclavage et leur donner la place conséquente qu’ils méritent ». L’association Afrikara rappelle quant à elle le contenu de articles 6 et 7 du Code de déontologie, qui « contribuent à asseoir légalement et moralement la mobilisation pour une interdiction de la vente des documents historiques sur la traite négrière », ajoute l’association. L’association estime par ailleurs que « la vente des manuscrits est aujourd’hui l’ultime phase d’exploitation du lucratif filon négrier ».
La tension, la colère même, était tout aussi palpable chez le Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais, qui voulait saisir les ministères de la Culture et de l’Outre Mer. Il appelait, comme plusieurs autres associations, à un « rassemblement mercredi 12 au matin, avant 10h pour réagir à l’exposition des objets et archives à la Maison de vente Chenu-Scrive-Bérard, 6, rue Marcel-Rivière, 69002 Lyon », peut-on lire sur leur site. De son côté, Afrikara expliquait dans un communiqué, que nous avons reçu ce lundi, vouloir « alerter l’opinion publique et les décideurs, Mme Taubira (députée de la Guyane, ndlr), et autres parties responsables et visibles pour obtenir l’interdiction ou au moins la suspension de la vente des archives de la traite négrière ».
Une manifestation mettrait en péril la sauvegarde des documents
Au final, des responsables associatifs ont contacté Alain Ajasse, dont le nom est cité comme contact pour ces enchères, pour protester. « L’un des interlocuteurs s’est montré très agressif et refusait d’entendre ce que je lui expliquais. J’ai fini par lui dire que ce n’était pas moi qui vendais, que je n’y étais pour rien et qu’il devait contacter le commissaire priseur », raconte l’expert.
Et de mettre en garde contre la tenue de la manifestation : « Si elle est maintenue, les enchères risquent d’être suspendues et les documents seront remis à leurs propriétaires, qui les vendront alors sur le marché parallèle ou les brûleront ». Une responsable du Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais explique que la tenue ou non de la manifestation fait l’objet de discussions au sommet, « les choses n’étant pas très claires ». Une fois les enchères terminées, si elles ont bien lieu, les archives seront visibles par le public à Bordeaux, Nantes ou encore Paris, selon l’origine des armateurs. Un choix stratégique pour éviter la surcharge des archives nationales en renvoyant les documents aux archives locales.