Amin Zaoui a fui l’Algérie des années de sang, celles de l’Islamisme déchaîné, pour se réfugier en Normandie, à Caen, où il a été accueilli, et où il a écrit les deux récits éclatés qui composent ce volume publié aux Editions du Serpent à plumes, Sommeil du mimosa et Sonate des loups.
Pour Zaoui, écrire, c’est d’abord résister et dénoncer. Résister à la passivité et au silence imposé, voire à l’indifférence ensuite. Dénoncer l’intolérable et ce pourrissement du quotidien qui lui a soudain rendu le séjour de l’Algérie insupportable. Pas seulement pour les risques qu’il y courait. Mais aussi pour tout ce que la vie quotidienne y signifiait d’accommodements, progressifs, avec l’horreur.
Un nom vient aux lèvres, lorsqu’au fil des pages on découvre l’identité du héros de Sommeil du mimosas, nommé responsable des pompes funèbres d’Oran, emporté dans un univers indifférent où chacun fait son quotidien de la tragédie épouvantable qui ramène chaque matin sa fournée d’assassinés.
Le récit entre dans un absurde achevé avec la peinture de toute une société qui vit sur le commerce de ces morts et que sa secrétaire a réunie autour du héros récemment promu pour un dîner un rien baroque : un bel homme, directeur régional des morgues, par ailleurs propriétaire d’une usine de fabrication de linceuls ; un barbichu silencieux et gourmand, gardien du cimetière d’Oran, qui raconte une sorte d’histoire drôle macabre et obscène, un écrivain, habituel rédacteur de la chronique nécrologique d’un grand journal, qui enchaîne les banalités, un cordonnier juif, gardien du cimetière israélite, lui, pour qui » il y a des cimetières très beaux qui donnent l’envie et le plaisir de mourir « .
Le sens de la fable est clair : l’Algérie devient un pays fantôme où prospèrent les croque-morts qui vivent sur le malade, n’ayant garde de le guérir. Qu’elle ait ou non rencontré une réalité, la thèse d’Amin Zaoui rend compte, en tous les cas, d’une révolte intime magnifiquement rendue par son travail littéraire.
La course contre la mort reprend avec la » Sonate des Loups « , deuxième récit, que l’on devine en partie autobiographique, notamment en ce qui concerne le projet de fuite qui hante le héros pour échapper à cette cascade de fatalités sanglantes qui semble monter autour de lui comme une marée, faite de nouvelles glaciales : » Far-Eddahab, professeur, universitaire et chercheur en économie politique est assassiné, alors qu’il attendait un visa pour la France. Le visa n’est pas venu, mais l’assassin était au rendez-vous à Oran. « De page en page, l’angoisse monte, la terreur sourde, celle de croiser à un moment ou à un autre ce jeune » en chaussures de jogging « , qui » s’approche, tire avec son Mahchoucha et s’enfuit à toute vitesse, pour prendre place sur une moto… « Laissant derrière lui la victime du jour baignant dans son sang.
Les soubresauts de la décennie terrible dont l’Algérie sort à peine ont rarement été dépeints avec une telle économie de moyens, et une telle justesse de ton. Amin Zaoui ne fait pas dans le pathos, il ne dénonce pas bruyamment, il ne revendique pas une politique contre une autre. Il restitue seulement, comme l’écrivain seul peut le faire, l’atmosphère d’un moment historique. C’est un service qu’il rend à la fois à l’histoire et à nos contemporains, qui auront peur de se reconnaître sans cette glace qu’il leur tend.
Commander le livre : Editions du Serpent à plumes, 1999.
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