Les années blanches sont malheureusement trop fréquentes en Afrique. Elles sont caractérisées par une absence des professeurs à l’école, pendant une grande partie d’une année scolaire. Dues au non-paiement des enseignants du public, elles ont entraîné le boom des écoles privées. Parfois même, certains parents nantis envoient leurs enfants poursuivre leurs études dans des pays limitrophes.
“En Centrafrique, entre 1989 et 2003, cinq années scolaires ont été invalidées en raison des mutineries et rebellions en cascade”, écrit Stephen Smith dans son livre Négrologie. Ce dont parle le journaliste, ce sont ces années scolaires invalidées que l’on nomme les années blanches.
Quand les profs sèchent les cours
Une année blanche anéantit une partie du cursus scolaire de l’élève. Elle peut être dûe à des salaires impayés, les arriérés. Dans ce cas, les enseignants du public commencent par manquer de temps en temps les cours. Les jours où leurs enseignants sont absents, les élèves viennent s’amuser et le soir venu, repartent chez eux. Finalement, les absences irrégulières se font de plus en plus rapprochées, pour devenir permanentes. Les élèves ne viennent plus du tout en cours, les écoles sont fermées, la poussière gagne les tables, les bancs et, dans la cour de récré, pas âme qui vive. Comme en pleine vacances. On traverse les mois de novembre, décembre… mai, juin… au moment où, dans les écoles privées ou les écoles publiques des pays voisins, les enfants avancent. Les tenues scolaires, dont le port est quotidien, reposent dans les armoires. L’Etat cède rarement et les professeurs campent sur leurs positions.
Les conséquences d’une année blanche sont douloureuses pour l’élève. Après sept, huit, voire neuf mois de vacances forcées, l’entrain qu’on a d’habitude au travail diminue, d’où des redoublements massifs les années suivantes. Si cet entrain ne diminue pas, il disparaît et ces enfants sont envoyés par leurs parents dans des ateliers de soudure, de menuiserie, de mécanique auto pour apprendre un travail manuel.
Dans les pays d’à côté, pourtant, les cours se sont poursuivis, les élèves sont allés en classe supérieure. Les enfants des pays qui ont subi une année blanche ont tous perdu un an, n’ont pas avancé, n’ont pas acquis la moindre connaissance. Pour les étudiants qui doivent passer un examen, il arrive qu’ils s’inscrivent au brevet et autre baccalauréat d’un pays limitrophe, pour ne pas perdre l’année.
Le boom des écoles privées
Les parents, qui ont les moyens de récupérer cette année scolaire coûte que coûte, ont inscrit leurs enfants soit dans l’une des seules écoles privées du pays, soit dans une école publique d’un pays limitrophe. Mais il est déjà arrivé que des élèves inscrits dans une école d’un pays voisin soient retournés dans leur pays les années suivantes, après que le vent des salaires impayés ait frappé le pays d’accueil. En Afrique de l’Ouest, on peut citer le cas du Bénin avec le Togo ou la Côte d’Ivoire. L’année scolaire 1988-89 y a été invalidée. A partir de 1989, les grandes villes togolaises et ivoiriennes ont été gagnées par les élèves béninois. Mais une année plus tard (année scolaire 1990-1991) pour la Côte d’Ivoire et trois années après (année scolaire 1992-1993) pour le Togo, ces deux Etats connaissaient les mêmes déboires que le Bénin. Les élèves béninois récemment partis sont alors obligés de revenir au pays. Cette valse est courante dans la sous-région.
D’autres parents riches inscrivent leurs enfants dans les écoles privées dont la scolarité coûte vingt-cinq fois plus cher que dans le public. En Afrique occidentale, pour une scolarité de 4 000 F CFA dans le public, il faut compter 100 000 à 150 000 F CFA dans le privé. Mais cela reste la meilleure façon d’éviter la perte d’une année. Aussi, ces écoles sont prisées parce que les profs y sont payés à l’heure, terminent obligatoirement le programme et ont la réputation de bien s’y appliquer.
Le cas du Bénin
Le Bénin a connu un trou noir en 1988-1989. L’année scolaire suivante, les écoles privées du pays (il y en avait un peu moins de cinq) ont été prises d’assaut. Dans une salle de classe sensée accueillir 40 élèves, il y en avait plus du double. Le record était battu par le Collège des Cheminots, qui, pour son tarif d’inscription un peu moins élevé que les autres (70 000 F CFA), avait été pris d’assaut. Dans des salles de classe de quarante personnes, on en comptait souvent bien plus de cent-vingt…