Selon un arrêt du Conseil d’Etat en 2001, les pensions et retraites des anciens combattants étrangers doivent être alignées sur celles des anciens combattants français. Le gouvernement Raffarin tente de contourner l’arrêt mais les ex-soldats, notamment ceux d’Afrique, sont prêts à défendre leurs droits.
On les appelait les » tirailleurs sénégalais « . Sous cette appellation : des Sénégalais mais aussi des Ivoiriens, Maliens, Guinéens, Marocains, Tunisiens… qui ont été de tous les bains de sang du XXème siècle, envoyés au front se battre sous le drapeau français, des tranchées de la Somme à l’Indochine en passant par Monte-Cassino et le débarquement en Provence. Ils réclament inlassablement une revalorisation de leurs pensions et retraites, gelées depuis 1959, mais la France ne semble pas encore prête à payer cette dette de sang.
Actuellement, la pension d’indemnité mensuelle d’invalidité est de 690 euros pour un ancien combattant français, 230 pour un Sénégalais et 61 pour un Marocain. Suite à l’action en justice d’Amadou Diop, ancien sergent-chef sénégalais, le Conseil d’Etat a statué, dans un arrêt rendu le 30 novembre 2001, qu’un ancien combattant d’un pays de l’ex-Union française avait les mêmes droits qu’un ressortissant français en matière de pension militaire. Cet arrêt précise également que des dédommagements doivent être versés de manière rétroactive.
L’injustice continue
Le Trésor public tord du nez. 85 000 personnes dont les retraites ont été « gelées » peuvent prétendre à une revalorisation et à un rattrapage des arriérés – sans compter leurs veuves et enfants -, soit une enveloppe de 1,85 milliard d’euros. Après le gouvernement Jospin, peu pressé de faire appliquer l’arrêt, l’équipe Raffarin reprend le dossier. La ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, promet, lors de son voyage au Sénégal en septembre dernier, que des décisions seront prises « avant la fin de l’année » concernant les pensions des anciens combattants des ex-colonies.
Aujourd’hui, dans le projet de loi de finances pour 2003, actuellement en lecture, le secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Hamlaoui Mékachéra, propose d’anticiper le financement de la » décristallisation » des pensions à hauteur de 72,5 millions d’euros, le dispositif législatif correspondant devant être adopté en 2003. Une somme insuffisante au regard des estimations chiffrées pour l’alignement des pensions qui s’élèvent à environ 350 millions d’euros par an.
Le gouvernement propose que le montant des pensions des anciens combattants étrangers soit indexé sur le coût de la vie dans les différents pays et non pas aligné sur celui des anciens combattants français. » C’est vraiment malheureux. La France continue de nous faire mal et perpétue une injustice de plus de 40 ans « , s’indigne Alioune Kamara, directeur de l’Office national des anciens combattants sénégalais. » Le pouvoir d’achat dans les pays d’origine n’a rien à voir avec les pensions. On parle de gens qui se sont battus loin de chez eux pour un autre pays, qui ont risqué leur vie. »
Tergiversations mesquines
Malgré l’espoir qu’a suscité l’arrêt du Conseil d’Etat, cet ancien combattant d’Afrique du nord et d’Indochine, âgé aujourd’hui de 73 ans, » n’a jamais fait confiance à la France « . » Je n’y ai jamais cru « , indique-t-il, amer. Le Sénégal compte 8 000 anciens combattants, dont 6 000 pensionnés. Un chiffre qui remet en cause le principal argument du gouvernement français qui dit vouloir éviter de multiplier par cinq ou six le niveau des pensions existant pour éviter une « perturbation des économies locales ». Le nombre des bénéficiaires des pensions n’est pas suffisamment important pour créer de telles » perturbations « .
» Le gouvernement français ne nous rétablira pas dans nos droits comme il se doit, nous nous tournons donc vers la loi pour faire respecter l’arrêt du Conseil d’Etat « , explique Alioune Kamara. Les anciens combattants africains sont sur tous les fronts, épaulés par leurs camarades français comme ceux de l’Union générale des anciens combattants.
Le Groupe de défense et de soutien des immigrés (Gisti) vient également de lancer, avec le Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (Catred), une campagne de recours juridiques. « La décision du Conseil d’Etat représentait une vraie reconnaissance de dignité. Les tergiversations mesquines du gouvernement ne sont pas admissibles, car, plus on attend, plus ces vieux messieurs vont mourir ! Nous allons donc inonder les tribunaux jusqu’à ce que le gouvernement craque », a indiqué Patrick Mony, du Gisti, dans les colonnes du Monde.
L’association diffuse gratuitement sur Internet une brochure détaillant les démarches à suivre pour saisir la justice française. Le Sénégal attend la décristallisation pour le mois prochain. La décision définitive sera prise lors du Conseil des ministres du 20 novembre prochain.
Visiter le site du Gisti .