Après avoir lu Un crime médiatique contre l’Afrique – Les Africains sont-ils tous nuls ? de Christian d’Alayer, vous n’aurez certainement plus le même regard sur les clichés que véhicule la presse occidentale sur l’Afrique. Clichés qui lui coûtent en partie cette croissance à laquelle elle a droit et qui l’enferment dans sa misère.
Les Africains sont-ils tous nuls ? C’est à cette question, posée par le fils d’un de ses amis africains au détour d’une conversation, que le journaliste spécialiste de l’Afrique, Christian d’Alayer, tente de répondre dans son dernier livre Un crime médiatique contre l’Afrique – Les Africains sont-ils tous nuls ?. Bien sûr qu’ils ne le sont pas ! Mais leur continent est victime de ce qu’il qualifie de « crime médiatique », un « crime contre l’humanité» selon lui. Evidemment que les fils du continent noir ne sont pas des zéros. A contrario de ce que pensent beaucoup d’occidentaux habités par un racisme social tel qu’il leur paraît naturel de penser les Africains en ces termes. Beaucoup de ces derniers ont même cédé à la tentation de le croire. Nourris par une culture occidentale, dans le cas d’espèce française, dont la presse depuis 1977, reste focalisée sur une photographie. Celle d’un petit Ethiopien qui meurt de faim, le ventre gonflé et la peau sur les os. Cette image est devenue la carte de visite d’un continent qui pourtant œuvre au quotidien à son développement, en s’adaptant tant bien que mal aux critères qui lui sont imposés.
Une volonté à toute épreuve
L’Afrique s’est repeuplée, après l’esclavage et la colonisation, urbanisée et alphabétisée en un temps record. Même si des progrès restent encore à faire. Des progrès dont les institutions internationales, qui nourrissent les colonnes des journaux occidentaux, ne se font pas, comme il le faudrait, assez écho. Mais « vous avez beau aller très vite et paraître vous couler comme de la pâte malléable dans tous les moules que nous vous proposons […] il faut quand même un peu de temps avant que n’éclosent les mondes nouveaux auxquels nos pensées profondes aspirent toutes », remarque néanmoins Christian d’Alayer. Ce temps qui sera consacré, entre autres, à sortir des guerres qui ravagent le continent. Car « il n’existe aucune civilisation qui ait connu un boom démographique de l’ampleur du vôtre sans connaître, en même temps, d’importantes convulsions politiques. […] Nos jeunes banlieusards à nous deviennent délinquants quand le système scolaire les éjecte. Les vôtres font la révolution ou la guerre ! » En d’autres termes, l’Afrique n’est pas une espèce d’ovni dans ce domaine : les civilisations européennes ont elles aussi eu leur période sanglante avant de connaître leur période de gloire. Celle qui leur permet aujourd’hui de donner des leçons aux Africains.
Malheureusement, ces conflits, bien qu’ils n’expliquent pas tout, constituent un a priori négatif pour les investisseurs, dont la contribution est essentielle à la croissance. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé de les attirer en libérant des économies, sur les judicieux conseils de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International (institutions qui ont depuis reconnu leurs erreurs), renonçant ainsi à leurs recettes douanières. Des recettes qui constituent les principales ressources fiscales des économies africaines, alors qu’elles n’étaient pas encore organisées pour s’en assurer d’autres. Pour pallier cette situation désastreuse, les populations, selon Christian d’Alayer, se sont tournées vers le secteur informel. Et face à la volatilité des marchés de leurs produits d’exportation, elles se sont investies dans le vivrier qui connaît un essor remarquable. Remarquable mais encore une fois ignoré par l’Occident qui se contente des « pleurs de crocodiles, amplement relayés par nos médias, des professionnels de l’aide (l’exemple du Programme Alimentaire Mondial est mis en avant, ndlr) aux Africains. »
Cette aide qui ne lui sert à rien
Cette aide qui ne représenterait que le cinquième de l’aide publique que les pays riches octroient. L’aide à l’ensemble des pays africains serait largement inférieure à celle dont bénéficient des pays comme l’Inde, le Brésil ou le Mexique. Pourtant, les médias n’en parlent jamais. Reste alors pour les Africains un seul argument à opposer à leurs « généreux donateurs » : « Arrêtez de nous aider, investissez ! » Et c’est là le gros hic. Les pays africains ont plus que jamais besoin de cet investissement étranger, qui se fait attendre, pour se développer. La vente de leurs matières premières n’y suffit pas (pour les raisons évoquées plus haut), alors que pèse sur elles la contrainte de rembourser une dette dont « la plus-value en dollars est de 40% ». Résultat : les économies africaines sont étranglées. Une situation, à en croire certains, dont seraient aussi responsables leurs dirigeants en détournant des sommes folles que gardent jalousement les banques suisses. Une critique à laquelle le journaliste répond en affirmant que cette grande corruption-là est sans commune mesure avec la grande corruption que l’on connaît par exemple en France. D’ailleurs, la légitimité de l’ONG Transparency International, chantre de la lutte anti-corruption dans le monde, est remise en cause. A la limite, sa compétence ne vaudrait que pour la petite corruption, qui est en effet un véritable frein au développement.
Christian d’Alayer note cependant qu’au Cameroun, un « cadre moyen a pu voir ses revenus ‘internationaux’ divisés par quatre entre 1994 et aujourd’hui : sans l’économie informelle et la corruption, lui et sa famille auraient purement et simplement sombré, soit dans la délinquance violente, soit dans la misère ». Ceci parce que l’Etat, son principal employeur, a dû « dégraisser le mammouth » sous la pression des institutions de Bretton Woods. Cette petite corruption, liée au sous-développement, décourage pourtant les bonnes volontés occidentales, au demeurant peu nombreuses, qui sont prêtes à s’engager dans l’aventure africaine. Aussi, en matière d’investisseurs efficaces, il n’y a véritablement que les Africains de la diaspora. « Imagine tous ces ouvriers, tous ces balayeurs, tous ces ‘damnés de la terre’ acceptant les pires boulots occidentaux dans les pires conditions et auxquels votre Union Africaine devrait décerner un prix spécial, une médaille du mérite africain. […] La réalité, en l’occurrence, ce sont des mouvements de fonds, additions de myriades de petits transferts, qui excèdent le montant global des capitaux que les rares gros investisseurs acceptent de miser chaque année sur ton continent ».
Le « syndrome africain » transmis à tous par les médias
Pourquoi donc tant de frilosité quand les opportunités d’affaires sont multiples, que la compétence existe et que se met en place un cadre juridico-légal propice à donner confiance aux entrepreneurs ? Pour Christian d’Alayer, la réponse à cette question tient en trois mots : « le syndrome africain ». Un mal né du processus cumulatif de « racisme ‘ordinaire’» et d’une « mauvaise interprétation des faits », dont la presse occidentale est non seulement victime mais qu’elle répand à l’envi. Au final, elle se fait l’instrument d’une « désinformation », à grande échelle, un « acte grave » qui nous coûterait « plusieurs points de croissance ». Infiniment plus donc que les 0,60% de PIB – soit 9 milliards d’euros – qui auraient dû être investis pour éviter les 15 000 morts qu’a causé la canicule de l’été 2004 en France. Une France qui a bradé le savoir dont elle disposait sur le continent au profit des intérêts, ô combien privés, de multinationales comme Total, Bouygues ou Bolloré, qui y font la pluie et le beau temps. L’erreur est grave quand on sait que l’Afrique est pour beaucoup dans le rayonnement de l’Hexagone et que ce sont d’autres économies qui risquent dans l’avenir de profiter d’un continent où la France dispose d’un avantage concurrentiel. Négligé, mais encore d’actualité.
Car comme les Africains ont révolutionné la musique et les beaux-arts, ils ont encore un rôle à jouer dans d’autres sphères dont l’économie fait partie. En bon « dernier de la planète », l’Afrique pourra à son tour en bénéficier à condition qu’elle surpasse, affirme Christian d’Alayer en conclusion de son ouvrage, ses « antagonismes » tout en préservant son identité. En rédigeant cet ouvrage, le journaliste occidental a essayé de réparer les crimes de ses collègues. L’exception vient malheureusement confirmer la règle. Mais peu importe, M. d’Alayer nous a offert un livre interactif, car il contient beaucoup d’informations qu’on a parfois envie de vérifier parce qu’inhabituelles. Un livre plein d’humour aussi. Vous vous surprendrez à éclater de rire sur des sujets qui ne devraient pas vous inciter à le faire. Enfin, Un crime médiatique contre l’Afrique – Les Africains sont-ils tous nuls ? est surtout un ouvrage sérieux et souvent trop technique – l’auteur le reconnaît d’où des petits résumés fort à propos – qui contribuera certainement à éveiller la conscience de ceux qui devraient le lire. C’est à dire tous ceux qui veulent contribuer au développement de cette chère Afrique. Une bien bonne résolution pour 2006.
Christian d’Alayer, Un crime médiatique contre l’Afrique – Les Africains sont-ils tous nuls?, éditions Le Bord de l’eau, 2004.
Commander le livre