Le Président Jacques Chirac a invité seize chefs d’Etat africains à assister, dimanche, aux commémorations du 60ème anniversaire du Débarquement de Provence du 15 août 1944. Si la classe politique s’accorde pour rendre hommage aux soldats d’Afrique du Nord et des colonies qui ont participé à l’assaut militaire, des voix se font entendre pour dénoncer la venue de certains Présidents.
Le 15 août 1944, à 8 heures, les premières troupes alliées mettent une botte en terre provençale, appuyées par des tirs de barrage. C’est le début du Débarquement de Provence, baptisé « Dragoon », qui a lieu dix semaines après celui de Normandie. Pour cette opération amphibie de grande ampleur, l’armada alliée est impressionnante, elle compte notamment 500 navires de guerre et 2 000 avions de combat. A 22h, l’opération est déjà considérée comme un succès : peu de pertes sont à déplorer et la tête de pont est fermement établie. 60 000 hommes et 6 000 véhicules sont à terre. Le 17 au matin, le gros des forces françaises débarque. Sur près de 450 000 soldats, quelque 150 000 combattants d’Afrique du Nord et des colonies, regroupés en sept divisions, arrivent sur les côtes provençales. Pour la plupart d’entre eux, c’est leur premier contact avec le sol de la métropole.
La 3ème Division d’infanterie algérienne, la 1ère Division française libre, la 9ème Division d’infanterie coloniale et ce qui reste de la 1ère Division blindée constituent la première vague. La deuxième débarquera quelques semaines plus tard et les troupes françaises seront alors renforcées par les 2ème et 4ème Divisions marocaines et la 5ème Division blindée. Moins célèbre que celui de Normandie, le Débarquement de Provence a pourtant été déterminant, permettant aux forces alliées de prendre en tenaille les troupes nazies et de remonter victorieusement jusqu’en Allemagne.
Défilé naval
Dimanche 15 août, la France commémore les 60 ans de « Dragoon ». Pour l’occasion, elle rendra bien sûr hommage aux combattants américains et britanniques. Mais le Président Jacques Chirac a annoncé qu’il saluera tout spécialement les soldats de l’armée d’Afrique du général De Lattre de Tassigny, forte de 250 000 hommes et constituée à 90% de ressortissants des colonies. « Ces admirables combattants venus de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie au secours de la France, des enfants de la Grande Afrique noire et de l’Océan Indien, des fils du Pacifique et de la Caraïbe. »
Pour saluer leur action, la journée de dimanche débutera par un défilé naval d’une vingtaine de bâtiments français, trois unités algériennes, deux unités britanniques, un patrouilleur tunisien, une frégate marocaine et un frégate américaine. Pour l’observer : seize chef d’Etats africains* sont attendus à Toulon, sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. La visite de certains d’entre eux provoque quelques remous…
Contre la venue de Bouteflika et d’Ismaël Omar Guelleh
L’invitation d’Abdelaziz Bouteflika a suscité la colère des associations de harkis et certains députés UMP (Union pour la Majorité Présidentielle) ont demandé que le Président algérien présente des excuses pour avoir, en 2000, qualifié les harkis de « collabos ». En réponse, le ministre français délégué aux Anciens combattants, Hamlaoui Mekachera, a déclaré que l’on ne pouvait « pas confondre la guerre d’Algérie avec la guerre 1939-45 ». Quant au ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier, il a rappelé : « Les affrontements qui ont déchiré nos deux peuples après la Seconde Guerre Mondiale (…) ne peuvent pas affecter la reconnaissance que la nation éprouve à l’égard de ces soldats venus pour participer à la libération du pays en 1944 ».
Le député socialiste Arnaud de Montebourg a protesté, mercredi, contre le déplacement en France du Président djiboutien Ismaël Omar Guelleh. En effet, les avocats d’Elisabeth Borrel, veuve du magistrat Bernard Borrel décédé en 1995 à Djibouti dans d’obscures circonstances, ont demandé vendredi l’audition du Président comme témoin. La famille Borrel accuse Ismaël Omar Guelleh, directeur de cabinet de la présidence djiboutienne au moment des faits, d’avoir commandité l’élimination du magistrat français. Mais le Président djiboutien bénéficiera de l’immunité diplomatique réservée aux chefs d’Etat en déplacement et pourra donc assister tranquillement aux célébrations de dimanche.
Absences remarquées
Les Verts ont, quant à eux, dénoncé « l’indigne présence de dictateurs africains aux cérémonies de commémoration (…) à l’invitation de Jacques Chirac ». Dans un communiqué, Yves Contassot, leur porte-parole, critique particulièrement la venue de Gnassingbé Eyadéma (Togo), Maaouya Ould Taya (Mauritanie) et Zine Ben Ali (Tunisie). « Il est indigne que des oppresseurs et des bourreaux de leurs propres peuples viennent parader sur le thème de la libération des peuples. Et il est indigne que la France soit l’initiatrice de cette mascarade. »
Mais la polémique ne touche pas seulement ceux qui seront présents. Elle atteint aussi les absents. Outre le vice-président américain Dick Cheney et le Premier ministre britannique Tony Blair, quatre Présidents africains ont décliné l’invitation française. Et les supputations vont bon train. Pourquoi l’Ivoirien Laurent Gbagbo ne fait-il pas le voyage en Provence ? Selon l’AFP, il aurait « sèchement » décliné l’invitation, affirmant qu’il n’avait « aucune raison de fêter la fraternité d’armes avec la France ». La version officielle affirme qu’il est retenu à Abidjan pour « encadrer le processus de paix » dans son pays et qu’il avait prévenu « depuis deux mois » de son éventuelle absence en Provence. Reste que l’on connaît les tensions entre Paris et Abidjan, comme le refus de Laurent Gbagbo d’appliquer les Accords de Marcoussis signés en 2003 et, plus récemment, l’affaire Kieffer, du nom du journaliste franco-canadien disparu en Côte d’Ivoire depuis 4 mois.
L’absence du Président congolais Denis Sassou Nguesso n’a pas été expliquée officiellement mais le Congo fête son indépendance dimanche, ce qui laisse deviner la raison. Même chose pour Omar Bongo, qui reste à Libreville pour les célébrations du 44ème anniversaire de l’Indépendance du Gabon. Quant au Président guinéen Lansana Conté, c’est sa mauvaise forme physique qui le retiendra à Conakry.
*Abdelaziz Bouteflika (Algérie), Mathieu Kérékou (Bénin), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Paul Biya (Cameroun), François Bozizé (Centrafrique), Azali Assoumani (Les Comores), Ismaël Omar Guelleh (Djibouti), Marc Ravalomanana (Madagascar), Amadou Toumani Touré (Mali), Mohammed VI (Maroc), Maaouiya Ould Taya (Mauritanie), Mamadou Tandja (Niger), Abdoulaye Wade (Sénégal), Idriss Deby (Tchad), Gnassingbé Eyadéma (Togo) et Zine Ben Ali (Tunisie)
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