En fin de semaine dernière, des incident violents ont éclaté à Rosarno, dans le sud de l’Italie, entre les immigrés africains, travailleurs saisonniers employés dans la cueillette des mandarines, et les populations locales.
Dans ses hypothèses d’investigation, la police italienne privilégie la piste de la Ndrangheta, la mafia locale, qui serait impliquée dans l’exploitation des travailleurs clandestins. Onze membres de cette organisation criminelle ont été arrêtés. Chercheur en relations internationales, expert en migrations et vivant en Italie depuis plusieurs années, Emmanuel Tano Zagbla apporte son éclairage sur cette situation.
Chercheur en relations internationales diplômé en Italie où il a soutenu sa thèse de doctorat, M. Zagbla, originaire de la Côte d’Ivoire, suit de près l’évolution de la situation difficile des immigrés africains dans son pays d’accueil. Un thème pour lequel il a consacré une bonne partie de ses travaux universitaires. Dans cette interview, il explique les difficultés que rencontrent les Africains, dans un pays qui, suivant la tendance européenne portée par la France, a commencé à expulser les immigrés clandestins. Il revient aussi sur les incidents de Rosarno, petite ville du sud de l’Italie, que plus d’un millier de travailleurs saisonniers africains, menacés de mort par une population instrumentalisée par les réseaux mafieux locaux, ont fui en fin de semaine dernière.
Afrik.com: Après les émeutes de vendredi dernier, quelle est la situation des ouvriers agricoles immigrés dans le sud de l’Italie?
Emmanuel Tano Zagbla: Les ouvriers agricoles ont été contraints d’abandonner leurs zones. Ils étaient très menacés par les habitants. De ce fait ils ont été définitivement transférés ailleurs. Ces ouvriers agricoles sont généralement exploités. Pour pouvoir travailler, ils sont obligés de payer un “droit” aux intermédiaires malgré leurs maigres salaires. Cela se passe un peu partout en Italie pour les sans-papiers.
Afrik.com: La police qui recherche les responsables des violences a interpellé 11 membres de la mafia …
Emmanuel Tano Zagbla: Vous savez, c’est la criminalité qui gère l’économie dans plusieurs endroits du pays. Les emplois du domaine agricole n’y échappent pas. Selon les enquêtes, les personnes interpellées sont liées à la Ndrangheta, la Mafia locale. Cette organisation est structurée comme une société. De sorte que même la police peine à interpeller ses membres. Les immigrés africains ne veulent pas se soumettre aux lois de la Ndrangheta. Ils veulent leurs libertés, leurs droits, ce que cette mafia ne veut pas entendre. Elle veut imposer sa loi, et obtenir le silence de ses victimes par tous les moyens.
Afrik.com: L’Egypte est le seul pays africain a avoir dénoncé la violence contre les noirs. Les autres Etats sont restés silencieux…
Emmanuel Tano Zagbla: Ainsi, l’intervention de l’Egypte, une grande puissance africaine, rappelle comme vous le signalez, le silence des pays africains vis-à-vis des actes de mépris envers leurs nationaux dans certains pays occidentaux. L’action de l’Egypte nous pousse à demander vivement une cohésion de la politique extérieure de l’Union Africaine. En sommes, il faut trouver “cette chose” qui pourra unir les Africains dans leurs diverses sensibilités. Toute la diaspora africaine apprécie l’intervention du gouvernement égyptien. Pour la première fois un gouvernement africain a pu intervenir avec force contre des comportement qui n’aident pas à créer la cohésion sociale.
Afrik.com: Comment expliquez-vous l’implication des populations de Rosarno dans la chasse aux Africains?
Emmanuel Tano Zagbla: Nous avons parlé de la Ndrangheta, qui est une organisation illégale. Mais le vrai problème des immigrés africains en Italie est ailleurs. C’est le problème du droit, de l’intégration, de la considération humaine qui fait défaut. De ma longue expérience de vie dans ce pays, je vois qu’il n’y a pas encore une vraie législation organique sur l’immigration. La peur de s’ouvrir crée des inégalités difficiles à comprendre. Il y a plutôt des solutions tampon qui s’annulent de lois en lois. Il y a une mauvaise visibilité des immigrés. Les immigrés africains doivent pouvoir être dispersés dans tous les secteurs de l’activité économique, sociale et culturelle. Il faut qu’on donne la possibilité à la population de familiariser un peu partout avec les immigrés africains. Or, les Africains ne sont surtout que des ouvriers. On voit même des médecins qui ne sont affectés qu’aux tâches de garde. Dans les universités, pas de noirs au niveau du personnel. C’est ça qui facilite le racisme, les discriminations, les violences.
Afrik.com: Une grève des immigrés est prévue le 1er mars prochain. Pourquoi?
Emmanuel Tano Zagbla: Pour la première fois, les immigrés vont croiser les bras pour demander le respect de leurs droits de travailleurs, d’immigrés, et surtout une réelle considération de leur personnalité. Les Africains occupent la dernière place parmi les immigrés en Italie. C’est un problème très profond, dénoncé d’ailleurs par l’Eglise.Chacun doit s’abstenir d’aller au travail ce jour-là.
Afrik.com: L’Italie a fait voter des lois pour criminaliser l’immigration clandestine…
Emmanuel Tano Zagbla: On ne peut pas vivre dans un pays et critiquer ses lois. Toutefois, nous parlons en suivant la constitution de ce pays. Certaines lois sur l’immigration violent la Constitution italienne. Le racisme existe un peu partout dans le monde, et l’Italie fait partie du monde. Il est évident que les Africains sont plus exposés par rapports aux immigrés de race blanche. N’oublions pas aussi le racisme religieux qui bat son plein.
Afrik.com: Comment les sans-papiers vivent-ils cette situation d’hostilité?
Emmanuel Tano Zagbla: Ils sont plus méprisés dans un contexte de semi-esclavage lorsqu’ils sont employés. Ils ne peuvent pas protester. Cette situation est généralisée dans les pays qui luttent contre l’immigration clandestine.
Afrik.com: Avez-vous personnellement souffert de discrimination?
Emmanuel Tano Zagbla: Après ma Maîtrise, j’étais convaincu d’avoir en main la clef de ma réussite sans devoir affronter d’obstacles. J’ai été le premier étudiant à affronter les problèmes liés à l’immigration, à l’université de padoue. Pendant plusieurs jours, les journaux et les chaînes de télévision ne cessaient d’en parler. J’ai voulu aller plus loin, dans la recherche universitaire. Le mur du racisme et de la discrimination m’attendait à l’horizon.
Alors que j’étais convoqué pour la soutenance de ma thèse de doctorat en Relations internationales sous le titre : Les implications de la politique internationale dans les processus de migration en Afrique, la commission ne voulait rien savoir! L’on m’a interdit de parler, sans motif! C’est en 2001 que j’ai pu soutenir ma thèse. Depuis lors, un contentieux très difficile m’oppose à l’université. Aucun avocat italien n’a voulu m’aider. Un racisme culturel qui ne dit pas son nom? J’avais très vite compris que le secteur des migrations offrait beaucoup de possibilités de recherches académiques.