Les accords franco-algériens de 1968 : entre mythes et réalités


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Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune
Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune

Les accords franco-algériens de 1968, souvent présentés comme exceptionnellement avantageux pour les ressortissants algériens, font l’objet d’un débat politique récurrent en France. Pourtant, une analyse approfondie révèle un régime juridique aujourd’hui en partie dépassé, qui prive paradoxalement les Algériens de certains dispositifs accessibles à d’autres nationalités. Entre enjeux diplomatiques et instrumentalisation politique, décryptage d’un cadre migratoire complexe dont la révision semble inévitable.

Les accords franco-algériens de 1968, qui régissent encore aujourd’hui la circulation, l’emploi et le séjour des Algériens en France, sont au cœur d’un débat politique récurrent. Le Premier ministre François Bayrou a récemment relancé la polémique en proposant de « réexaminer » ces accords, une position qui trouve un écho chez les partis de droite et d’extrême droite, mais qui est critiquée par certains spécialistes du droit et de l’histoire.
Contexte historique et dispositions initiales

Signés peu après l’indépendance de l’Algérie en 1962, ces accords visaient à encadrer les flux migratoires entre les deux pays tout en maintenant des liens privilégiés entre la France et son ancienne colonie. Ils établissent un régime dérogatoire au droit commun, permettant notamment :

  • Un accès facilité au marché du travail français pour les Algériens,
  • Un regroupement familial moins contraignant,
  • L’obtention plus rapide d’un titre de séjour de dix ans après trois années de présence sur le territoire français.

Ces dispositions ont été conçues pour répondre aux besoins économiques de la France tout en assurant une continuité avec la forte immigration algérienne amorcée avant l’indépendance. il faut rappeler que 12,2 % des immigrés vivant en France en 2023 sont nés en Algérie, soit environ 850 000 personnes. Cela positionne ce pays comme le principal contributeur à la population immigrée française. Et cela ne prend pas en compte les nombreux citoyens français d’origine algérienne.

Une évolution en décalage avec le droit commun

Depuis leur adoption, ces accords ont été amendés à plusieurs reprises mais restent en décalage avec l’évolution du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Selon l’avocate spécialisée en droit des étrangers, Anaïs Place interrogée par 20Minutes, « ces accords sont devenus obsolètes car les quelques ‘avantages’ qu’ils confèrent aux Algériens ont été rattrapés par l’évolution du droit commun ». En outre, ils comportent aussi des désavantages pour les Algériens.

En effet, certains dispositifs aujourd’hui accessibles aux autres étrangers ne le sont pas pour les Algériens. Par exemple :

  • Les étudiants algériens doivent renouveler chaque année leur visa alors que d’autres nationalités bénéficient de visas pluriannuels.
  • Le « passeport talent », qui permet aux diplômés de master et aux travailleurs hautement qualifiés d’obtenir un titre de séjour de quatre ans, ne s’applique pas aux Algériens.
  • Les Algériens ne peuvent pas prétendre à la liste des métiers en tension facilitant l’obtention d’un permis de séjour.

L’historien Michel Pierre rappelle que ce cadre juridique, pensé à une autre époque, est aujourd’hui dépassé et prive en réalité les Algériens de certains dispositifs avantageux.

Comparaison internationale : des accords similaires mais moins controversés

La France a conclu des accords bilatéraux similaires avec d’autres pays du Maghreb, notamment le Maroc (1987) et la Tunisie (1988), mais ceux-ci suscitent nettement moins de controverses politiques. À titre de comparaison, l’accord franco-tunisien prévoit également des dispositions spécifiques pour la circulation et le séjour, mais a été modernisé plus régulièrement, intégrant par exemple l’accès au « passeport talent » pour les ressortissants tunisiens. L’Allemagne a quant à elle adopté une approche différente avec la Turquie, son principal pays d’immigration post-coloniale, en privilégiant des accords économiques sans régime dérogatoire pour le séjour.

L’Espagne, confrontée à une forte immigration marocaine, a développé un modèle de « migration circulaire » encadré par des accords bilatéraux plus souples et régulièrement actualisés. Ces exemples européens montrent qu’il existe des alternatives au maintien d’un cadre juridique figé depuis plus de cinquante ans, et que la modernisation des relations migratoires peut s’effectuer sans rupture diplomatique majeure.

Une focalisation politique sur l’Algérie

Si l’accord de 1968 fait l’objet de critiques, c’est aussi parce que la question migratoire est instrumentalisée dans le débat politique français. Pour Anaïs Place, « tout cela relève de la diplomatie » et sert souvent à masquer d’autres difficultés, notamment les tensions récurrentes entre Paris et Alger.

Dominique de Villepin, ancien Premier ministre et diplomate aguerri, a récemment dénoncé cette posture dans une interview à Mediapart. Il considère qu’il est dangereux de réduire soixante ans d’histoire commune à un simple slogan politique et qu’un éventuel démantèlement de ces accords pourrait avoir des répercussions diplomatiques négatives. « Peut-on réduire soixante ans d’histoire commune à une formule lapidaire sur Twitter ? » interroge-t-il.

Une renégociation inévitable ?

Si certains continuent de voir dans ces accords une exception avantageuse pour les Algériens, les chiffres nuancent cette vision. En 2023, les Marocains ont été les plus nombreux à obtenir un premier titre de séjour en France (36 845 contre 32 003 pour les Algériens). De même, en termes de renouvellements de titres de séjour, les Marocains sont en tête avec 127 613 dossiers contre 100 579 pour les Algériens.

Face à ces contradictions et à l’évolution du paysage migratoire en France, une renégociation des accords de 1968 semble inévitable à moyen terme. Toutefois, elle nécessiterait un dialogue approfondi entre les deux États et ne peut se limiter à une décision unilatérale de la France.

Comme le rappelle l’historien Michel Pierre à 20Minutes, la France a aujourd’hui peu de leviers dans ses relations avec l’Algérie. Pendant que Paris entretient des rapports conflictuels avec Alger, d’autres pays comme l’Espagne et l’Italie cherchent à attirer les talents algériens. « Ça m’étonnerait que tout cela impressionne l’État algérien. Nous n’avons que très peu de cartouches dans ce duel », conclut l’historien.

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