Léonard Wantchékon : la rage de réussir contre vents et marées


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Léonard Wantchékon
Léonard Wantchékon

Son nom inspire aujourd’hui respect et considération dans l’univers scientifique à l’échelle planétaire. Il est l’un des rares africains à avoir réussi à s’imposer dans le paysage universitaire américain. A l’université de Princeton, un des établissements de l’Ivy League, il est professeur titulaire d’économie et de sciences politiques. Il est également membre du corps professoral de la Woodrow Wilson School et en même temps l’une des éminences grises de la Banque mondiale puisque ses avis sont régulièrement requis par cette institution. Il est aussi membre de l’Académie Américaine des Arts et des Sciences. Tellement de titres qu’on en oublie ! En un mot, il est l’un des économistes africains les plus en vue du XXIe siècle. Et pourtant, presque rien ne prédisposait Léonard Wantchékon, cet ancien détenu des cruelles geôles de la Révolution béninoise, à un destin aussi prestigieux.
Un enfant ayant du caractère
C’est dans le cadre verdoyant du village de Doga Vêdji, situé dans l’actuelle commune de Zagnanado, que Léonard Wantchékon vit le jour, en 1956, d’un père cultivateur. Après l’obtention du Certificat d’études primaires (CEP), en 1970, il refusa de continuer à fréquenter au village, le collège de Covè, où il était classé, comme d’ailleurs la plupart de ses camarades. Le jeune Léonard voulait plutôt fréquenter les grands établissements des centres urbains. Aussi n’a-t-il pas hésité à reprendre la classe du cours moyen deuxième année (CM2) – avec retard puisqu’il n’a difficilement obtenu une place qu’en janvier, c’est-à-dire au second trimestre – à Ibéré (Pobè), près de la frontière avec le Nigeria, préférant renoncer à sa bourse et à son entrée en sixième, plutôt de continuer à fréquenter au village. Après avoir repassé avec succès l’entrée en sixième, il échoua au cours secondaire protestant (CSP) de Cotonou.

Un jeune élève leader de la contestation du régime révolutionnaire de Mathieu Kérékou

Les années passées au CSP où il obtint le Brevet d’études du premier cycle (BEPC) furent celles au cours desquelles, le goût du risque, la fibre militante qui étaient tapis dans l’esprit du jeune élève se révélèrent au grand jour. Il prit conscience de la nécessité pour lui de se lancer dans la lutte pour la défense des libertés dans un pays alors sous la férule d’un régime dictatorial fondé sur un parti monolithique, le Parti de la révolution populaire du Bénin (PRPB) et la pensée unique. Ainsi, alors que Léonard Wantchékon n’était qu’en classe de première, il prit la tête du mouvement de contestation ayant dirigé la publication d’une lettre contre le régime du Président Mathieu Kérékou, en 1976. En réaction à cette action, le régime fit arrêter le groupe de jeunes contestataires, les interna pendant une quinzaine de jours avant de les relaxer.

Etudiant benin 1985

Cet épisode convainquit Léonard Wantchékon de la nécessité de changer d’établissement pour sortir du collimateur des sbires du régime. Ainsi, l’année suivante, il prit la direction du septentrion où il s’inscrivit au lycée Mathieu Bouké de Parakou, la plus grande ville du Nord Bénin, où il décrocha brillamment son Baccalauréat série C. Si le passage au lycée Mathieu Bouké a été une période d’inactivité totale pour le jeune militant, il lui a tout de même permis de se lier d’amitié à beaucoup de jeunes de son âge, ressortissants de la partie septentrionale du pays et de se sentir Béninois au vrai sens du terme et non Béninois du sud du pays seulement. « Mon parcours a fait de moi un Béninois complet », se plaît-il à affirmer aujourd’hui.

Du couloir de la mort à l’ascension

Après le passage à Parakou et la mise entre parenthèses du chauvinisme militant, le crocodile a retrouvé son marigot à l’Université Nationale du Bénin (UNB). Inscrit à la Faculté des Sciences et Techniques (FAST), précisément en Mathématiques-Physique (MP) dans le but de faire carrière comme professeur de mathématiques conformément à ses rêves d’enfant, le jeune étudiant ne tarda pas à reprendre ses activités de militant. Et c’était le début de son calvaire. La vie de maquisard, se déplaçant de planque en planque, devint son quotidien.
Tout commença avec les grands soulèvements anti-régime que les étudiants organisèrent à l’UNB, en 1979. Identifié comme l’un des meneurs de ces mouvements, Léonard Wantchékon écopa d’une exclusion de l’Université, pour une durée de cinq ans. C’était la période de la vie en clandestinité, puisque le régime avait des yeux et des oreilles partout. A son retour à l’Université, en 1984, de nouveaux soulèvements lui valurent une nouvelle exclusion et pire, une arrestation, en 1985. Il passa dix-huit mois dans le couloir de la mort : le camp Guézo et l’hôtel PLM Alédjo à Cotonou, le camp Séro Kpéra à Parakou et enfin la prison de Ségbana, des lieux dont la simple évocation du nom donne des émois à ceux qui ont vécu ces heures terribles de la révolution béninoise. Combien de Béninois n’ont pas été sauvagement assassinés dans ces lieux de sinistre mémoire !

De cet engrenage qui broie sans pitié ses victimes, Léonard Wantchékon réussit à s’évader et à se retrouver au Nigeria, distant seulement de quelques kilomètres de Ségbana, avant de joindre le Canada, après un bref séjour en terre ivoirienne. C’est le début d’une nouvelle vie qui, commencée à l’Université Laval et à l’University of British Columbia au Canada, a été couronnée par l’obtention du PhD en économie à la Northwestern University aux Etats-Unis, sous la direction de Roger Myerson, qui sera sacré Prix Nobel d’économie, en 2007.
Ce parchemin obtenu, la voie était toute ouverte pour une brillante carrière dans l’enseignement et la recherche. Et ça, l’ex-militant qui avait définitivement tourné le dos à son passé le savait mieux que quiconque. Ainsi, il alla de Yale University (1995-2001) à Princeton University où il enseigne depuis 2011, en passant par New York University (2001-2011). Le militant fugitif d’hier est aujourd’hui est un modèle accompli de réussite, un chercheur dont la renommée a encore été célébrée à travers son élection, en 2018, à la Société mondiale d’économétrie, l’organisation savante la plus prestigieuse en économie dans le monde. Il devient ainsi le premier Noir Africain admis dans ladite société.

Un patriote convaincu

Léonard Wantchékon reste très attaché à son pays le Bénin où il a créé, depuis 2014, une école d’économie, l’African School of Economics, qui offre une formation de haut niveau calquée sur le modèle nord-américain, avec d’importants accomplissements. Des dizaines d’étudiants, venus de plusieurs pays africains et même des Etats-Unis et du Mexique, se sont fait former à l’African School of Economics, qui reste aujourd’hui une école de référence plaçant ses étudiants dans les institutions internationales et dans des programmes de PhD dans les universités les plus prestigieuses d’Amérique du Nord.

Cette haute école se veut un centre d’excellence appelé à faire du Bénin le pôle principal de l’émergence de l’Afrique du futur. Ceci se dessine déjà à travers la série de conférences scientifiques internationales que l’économiste organise dans son pays depuis quelques années et qui rassemblent, au Bénin, les sommités mondiales en matière d’économie. La vision de l’African School of Economics peut se résumer en ces mots : dispenser en Afrique des formations pour lesquelles les Africains vont investir des millions en Occident et contribuer ainsi à la lutte contre la « fuite des cerveaux ». Le secret de sa réussite, Léonard Wantchékon le résume ainsi : « Je ne baisse pas les bras, je me bats jusqu’au bout ».

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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