Les Marocains votent, ce vendredi, afin d’élire les 325 députés qui siègeront au Parlement. Selon divers instituts de sondages et d’études d’opinion, les islamistes modérés du Parti de la justice et du développement (PJD) sont favoris devant l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et l’abstention devrait être importante. Sur les enjeux de ce rendez-vous électoral, Afrik.com a interrogé le politologue marocain Ahmed Benani.
Les islamistes modérés, pressentis comme grands favoris du scrutin législatif vont-ils emporter la victoire ? Ces élections vont-elles avoir des conséquences sur la politique de Mohammed VI ? Comment gérerait-il une Assemblée dominée par les islamistes ? 15 millions de Marocains ont été appelés à déposer leur bulletin de vote ce vendredi. A 14h00 GMT, le taux de participation était légèrement supérieur à 16%, selon le ministère de l’Intérieur. Ahmed Benani est politologue, professeur à L’université de Lausanne, en Suisse, et membre fondateur des comités de lutte contre la répression au Maroc. Il revient sur la situation électorale et sur celle du Maroc plus globalement.
Afrik.com : Quels sont les enjeux de ces élections législatives ?
Ahmed Benani: Il y a une volonté de la population de voir un changement intervenir avec des thèmes classiques comme l’accès au travail, à la santé, la lutte contre l’analphabétisme et les droits de la femme. Il s’agit de revendications classiques. Sur cette base revendicative, on n’est pas dans la transparence. Le pouvoir est usé, la monarchie est à bout de souffle. Elle est contestée, elle a besoin de se refaire une santé.
Afrik.com : Pourquoi le parti islamiste modéré PJD, a-t-il une telle côte dans les sondages ?
Ahmed Benani : Il y a un mécontentement social au Maroc et une partie de la population trouve refuge au PJD. Le PJD est un parti qui émane du palais royal. Il est là pour créer une espèce de diversion. La monarchie et le PJD se partagent les tâches. Il s’agit de capter politiquement le mécontentement populaire. Déjà avec Hassan II, il avait fallu créer une structure capable de tout orchestrer. Mais il y a des gens qui adhèrent sincèrement au PJD, pour les valeurs qu’ils défendent, comme la famille, la citoyenneté et l’identité islamique. De fait, il y a un discrédit sur les autres partis politiques en faveur du PJD.
Afrik.com : Le PJD représente-t-il, malgré tout, une menace pour l’avenir du Maroc ?
Ahmed Benani : Non, pas du tout. Soit le PJD va gagner et le Roi sera obligé de désigner un des représentants au gouvernement. Mais j’exclue cette hypothèse. Il y a actuellement 33 partis en lice, c’est énorme. Même en France ou en Allemagne il n’y en a pas autant. C’est un nouveau découpage électoral pour que personne ne gagne finalement. Même si le pouvoir a la majorité, une opposition existera toujours. Les tenants de la modernité sont dans l’opposition, mais la monarchie préfère co-gouverner avec le PJD.
Afrik.com : Le parti islamiste marocain a-t-il le même profil que son homologue turc ?
Ahmed Benani : Oui, à la différence qu’en Turquie la laïcité est établie depuis 1939, avec une société civile, un véritable statut de citoyen. Et la Turquie met en avant cette diversité. Ce scénario est spécifique à la Turquie où l’armée joue un rôle de gardien de la République. Au Maroc, c’est l’inverse. Il s’agit d’une monarchie isolée qui fait diversion, avec une stratégie politique qui va amener au Parlement une minorité de type islamiste. Il ne faut pas oublier qu’au Maroc, il y a un fort sentiment de religiosité et que la constitution marocaine stipule que l’islam est religion d’Etat. Personne ne se réclame actuellement d’un projet républicain.
Afrik.com : Et quant au mouvement islamiste du Cheikh Yacine, qui n’est pas reconnu officiellement mais toléré…
Ahmed Benani : Ce parti a une influence immense et appelle au boycott. Le taux d’abstention, évalué à a peu près 50%, montre la puissance du parti. Rappelons qu’on reste dans un pays ou l’encrage religieux est un fait et que la monarchie est de type entrepreneurial. Ce qui intéresse le Makhzen, c’est de développer l’économie. On est dans cette perspective que la solution pour la monarchie passe par l’ultralibéralisme. L’islam modéré n’est pas une religion anti capitaliste.
Afrik.com : De façon plus globale, quel est le rapport du Roi avec les institutions ?
Ahmed Benani : Le Roi fait des concessions. Ce n’est pas l’absolutisme le plus total. Mais il y a clairement des domaines qui appartiennent à la monarchie. Dans l’ordre, ce serait l’Intérieur, la Défense, les affaires étrangères et les affaires religieuses. La monarchie a un contrôle sur les institutions.
Afrik.com : Quelle est l’importance du Parlement au Maroc ?
Ahmed Benani : Elle est relative et surtout formelle. Le Parlement peut débattre de beaucoup de choses sauf de ce qui peut conduire à une plus grande transparence. Si on laisse faire les choses, on va arriver vers un régime de type israélien où la démocratie parlementaire est presque parfaite et où aucun parti ne peut gouverner tout seul. Les partis sont laissés dans une espèce de parité afin de permettre à la monarchie de perdurer. C’est très subtil et complexe. Le religieux joue son rôle. Un rôle qui est l’expression de quatorze siècles de monarchie.
Afrik.com : Quel est votre pronostic concernant les élections ?
Ahmed Benani : Il n’y aura pas de grand changement. La monarchie va continuer avec un gouvernement d’union nationale. On dira que le Maroc est pluraliste, que la monarchie se modernise…C’est la volonté du régime. Mais face à la réalité, personne n’est à l’abri d’une situation de crise, les menaces sont importantes, il n’y pas de stabilité réelle. On n’est pas à l’abri du danger.
Afrik.com : Quelles conséquences pourraient avoir les résultats des élections ?
Ahmed Benani: Il n’y aura pas de réelles conséquences. Le Maroc va entrer dans une nouvelle période de transition. Les islamistes vont faire l’expérience de la gestion. Dans trois ou quatre ans on commencera à faire le bilan. Le Maroc sortira de l’aliénation religieuse dans cinq ans, quand les gens auront perdu de leur naïveté. Quand ils auront compris qu’il n’y pas de lien magique entre la religion et la politique. La religion passera alors au second plan.
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