Depuis un mois, des pygmées camerounais sont exhibés dans un parc animalier sur les bords de la Meuse. Ce spectacle, censé soutenir un projet humanitaire, n’est pas sans rappeler les zoos humains de la période coloniale. Des associations belges portent plainte et dénoncent l’exploitation dégradante de la tribu des Bakas.
On recense environ 50 000 pygmées bakas dans les forêts de l’Est du Cameroun. Depuis près d’un mois, on en compte aussi 8 en Belgique, sur les bords de la Meuse. » Depuis des années je m’intéresse aux pygmées. Indigné par les conditions de vie des Bakas, j’ai voulu les faire venir ici, dans le parc animalier du domaine de Champalle, pour sensibiliser la population belge à leur sort et financer une action humanitaire », explique Louis Raetz, le président de l’association Oasis et Nature qui gère le domaine.
43% des recettes enregistrées sur les visites sont sensées servir à la construction de 17 points de captage d’eau au Cameroun. L’idée paraît séduisante. Mais elle est aussi à la source d’une violente polémique. La reconstitution d’un village baka dans un parc animalier rappelle à certains les expositions coloniales du siècle dernier. Lorsque, de plus, les huit Bakas dansent et chantent, trois fois par jour, sous les yeux émerveillés des touristes, certains dénoncent la recréation d’un zoo humain.
Les Bakas en otage
L’Association du mouvement des nouveaux migrants (ANM) a été parmi les premières à porter plainte. Son président, qui a déjà organisé deux manifestations contre l’exposition, ne cache pas son indignation. Au-delà du procédé, qu’il juge dégradant, il va jusqu’à mettre en doute la validité du projet humanitaire. » Nous estimons que l’aide doit respecter la personne humaine. Je ne pense pas qu’il est nécessaire d’exhiber le peuple baka pour les aider ! Il s’agit de susciter la compassion et le paternalisme. Il est absurde de prétendre parler d’une démarche humanitaire, ou alors c’est de l’humanitaire affairiste ! » estime Joseph Anganda.
Selon les gérants du domaine d’Yvoir, le projet humanitaire existe bien, encadré par une ONG camerounaise. Les Bakas seraient là de leur plein gré et seraient libres d’aller et venir. D’après M. Onose, responsable de l’Association pour la promotion humanitaire au Cameroun, les premiers intéressés se plaindraient même de ce que les manifestants ne les aient pas consulté avant de s’indigner, de tempêter et de manifester. Mais il se trouve M. Onose est également l’un des rares qui puisse communiquer avec les membres de l’ethnie… qui ne parlent que le baka.
Parlez-vous baka ?
A la suite de ANM, une autre association a trouvé douteux le procédé d’exhibition des Bakas. Pour y voir plus clair, le CNCD (Centre national de coopération au développement), a décidé de mener l’enquête. » La première chose qu’on a du mal à comprendre, c’est pourquoi Louis Raetz a investi près d’un million de francs pour l’organisation de cette exposition et les billets d’avion, soi-disant pour aider les Bakas. Le même argent aurait pu être directement investi dans la création de puits. La deuxième chose, c’est que nous avons rencontré les Bakas avec une interprète. Ils ont eu un comportement très soumis à l’égard des Camerounais qui les accompagnent. Ils ne les contredisent jamais. Les autres parlent à leur place. Et, alors que les Bakas sont sensés être libres de leurs mouvements, ils n’ont jamais quitté le domaine… « , révèle Olivier Bailly, chargé de communication au Cncd. Sur ces soupçons, son association a finalement suivi le MNM pour porter plainte et réclamer le retour des Bakas chez eux.
Si la situation de leur ethnie est effectivement tragique en raison de la déforestation sauvage qui sévit au Cameroun, il est difficile de savoir si les huit pygmées savent bien ce qu’ils sont venus faire en Belgique. Se font-ils exploiter, comme certains le pensent, par les dirigeants de l’Ong camerounaise ? Le Ced (Centre pour l’environnement et le développement au Cameroun), qui milite activement sur le sol camerounais pour l’auto-promotion des bakas, ne manque pas de souligner l’exploitation des Bakas par leurs concitoyens. Quant à l’argent promis, on voit mal où Louis Raetz compte le trouver. La gérant du domaine de Champalle reste très évasif sur la somme qu’il a investie, mais il explique lui-même qu’il lui faut d’abord rembourser l’emprunt qu’il a fait pour les faire venir. Avec 10 à 20 visiteurs par jour, et à 6 euros l’entrée, la tâche promet d’être longue.