La résolution 1820 du Conseil de sécurité qualifiant le viol comme une arme de guerre, a été adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 19 juin 2008. En quoi cette décision marque un tournant en matière de droit international ? L’avis de Roland Adjovi, juriste principal auprès des juges de la Chambre de première instance III du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
La résolution 1820 du Conseil de sécurité des Nations unies «souligne que, utilisée ou commanditée comme arme de guerre prenant délibérément pour cible des civils, ou dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre des populations civiles, la violence sexuelle peut exacerber considérablement tout conflit armé et faire obstacle au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales, affirme à cet égard que des mesures efficaces tendant à prévenir et réprimer ces actes de violence sexuelle peuvent contribuer grandement au maintien de la paix et de la sécurité internationales, et se déclare prêt, lorsqu’il examinera les situations dont il est saisi, à prendre, le cas échéant, les dispositions voulues pour faire face à la violence sexuelle généralisée ou systématique ».
Afrik.com : Le droit international punit déjà les violences sexuelles dans le cadre des conflits. Le fait que le viol soit désormais considéré comme une tactique de guerre par le Conseil de sécurité aura-t-il des incidences particulières en matière de droit international ?
Roland Adjovi : Le Conseil de sécurité a poursuivi une logique qui est déjà la sienne. Il avait déjà adopté la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité, la résolution 1468 où il avait condamné le recours tactique aux violences sexuelles par les belligérants et la résolution 1674 où le Conseil de sécurité avait condamné toute forme de violence sexuelle. Le Conseil de sécurité monte aujourd’hui d’un cran en constatant que les violences sexuelles constituent parfois une arme de guerre, un moyen de déstabiliser les populations attaquées. A ce titre, les violences sexuelles ne peuvent qu’exacerber la crise sociale, avec des effets humains durables et particulièrement sérieux. Toutefois, cela ne devrait pas affecter le droit international tel qu’il existe à ce jour. Le Conseil de sécurité rappelle en tout premier lieu l’obligation juridique des États de prévenir et de punir une pareille logique criminelle. Il invite les parties au conflit à ne pas se méprendre sur les moyens de guerre permis par le droit. Le Conseil souligne à juste titre que les violences sexuelles peuvent constituer des crimes internationaux, tout comme les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides. Ce dernier point rend parfaitement compte de la jurisprudence actuelle des tribunaux pénaux internationaux, et des textes internationaux en vigueur, notamment le Statut de Rome, le plus récent et le plus universel. Précisons aussi que le Conseil établit une relation entre les violences sexuelles et la paix et la sécurité internationales, et c’est là la clé du recours au chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Certaines dispositions de ce chapitre de la Charte donnent compétence au Conseil de sécurité de prendre des mesures coercitives pour rétablir la paix et la sécurité internationales. L’avenir nous dira si le Conseil aura besoin d’y recourir. Le Conseil affiche résolument dans la résolution 1820 un souci de lutter contre l’impunité en excluant spécifiquement l’amnistie pour toute violence sexuelle durant un conflit armé. Ceci avait déjà été dit par la Chambre d’appel du Tribunal pénal spécial pour la Sierra Leone dans une décision du 13 mars 2004.
Afrik.com : Les organisations de défense des droits humains ont qualifié cette décision d’historique. En quoi l’est-elle ?
Roland Adjovi : Il est vrai que cette résolution donne une conception claire des violences sexuelles comme arme de guerre. Elle fait aussi état de l’obligation pour les Etats de prévenir et de punir ce type de crime. La création d’un mécanisme de suivi est également importante et historique. Encore une fois une telle position ne peut qu’être que saluée et c’est peut-être ce que les ONG ont essayé de faire en employant ce qualificatif.
Afrik.com : Les conflits récents en Afrique sont-ils pour quelque chose dans cette décision ?
Roland Adjovi : Il est difficile de dire si le déroulement des conflits en Afrique, où les violences sexuelles sont devenues récurrentes, a été directement pour quelque chose dans cette évolution du Conseil de sécurité. Mais une chose est sûre : les caractéristiques des conflits en Afrique ont contribué à cet éveil sur les crimes sexuels. Les jugements rendus par le Tribunal pénal international pour le Rwanda sont là pour le rappeler s’agissant du recours au viol durant les tristes événements de 1994. L’arrêt récent de février 2008 du Tribunal pénal spécial pour la Sierra Leone aussi, s’agissant du mariage forcé. Dans cet arrêt, la chambre d’appel du Tribunal à considérer que le mariage forcé entre des rebelles et des femmes enlevées constituaient un crime contre l’humanité. Ce type de crime constitue aujourd’hui une arme de guerre qui doit être prohibée, comme d’autres armes l’ont été auparavant en droit des conflits armés. C’est ce que fait le Conseil de sécurité, et cela pénaliserait certainement les seigneurs de guerre sur le continent qui ignoreraient la prohibition.