Le Bureau international du travail a publié, mercredi, son second rapport sur le travail forcé dans le monde intitulé Une alliance mondiale contre le travail forcé. Pour la première fois, l’organisation propose une analyse chiffrée du phénomène. Au total, ce sont les femmes qui sont les plus vulnérables et, en Afrique subsaharienne, les enfants sont les premières victimes du fléau.
Ce sont 12,3 millions de personnes qui sont victimes du travail forcé dans le monde. L’Afrique subsaharienne, avec ces 660 000 travailleurs forcés, est après les régions Asie et Pacifique, Amérique latine et Caraïbes, la partie du monde la plus touchée. C’est ce qu’indiquent les derniers chiffres du Bureau international du travail (BIT) publiés, mercredi, dans une étude intitulée Une alliance mondiale contre le travail forcé.
C’est la première fois qu’une analyse chiffrée sur l’état du travail forcé dans le monde est proposée. À savoir une estimation du nombre de personnes concernées et le montant des gains réalisés par les trafiquants. À ceci près, que le BIT souligne que ses estimations méritent encore d’êtres affinées. Elles nous apprennent, néanmoins pour l’heure, que 80% des travailleurs forcés africains s’échinent au travail pour la plus grande satisfaction des entreprises privées et des particuliers. Et que le cinquième de ces victimes font l’objet d’une traite qui rapporte à ses instigateurs 159 millions de dollars.
Des pratiques traditionnelles détournées
Selon l’Organisation internationale du Travail (OIT), « le travail forcé ou obligatoire » est un « travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et que l’individu en question n’exécute pas de son plein gré ». En Afrique, le travail forcé est bien évidemment lié à la grande pauvreté du continent et à des pratiques sociales détournées, dont les enfants, la plupart âgés de 15 à 18 ans sont les premières victimes.
Pour Asha D’Souza, spécialiste du programme anti-traite au BIT, cette forme de travail est, entre autres, la résultante, partout sur le continent, « d’une évolution malheureuse des pratiques traditionnelles ». Celle, par exemple, de confier ses enfants à une famille plus aisée qui assurera leur éducation est courante. « Par ailleurs, les liens familiaux sont si forts, que ce travail qui est fait de façon informelle, peut être exigé sans aucune rémunération en contrepartie », poursuit Mme D’Souza.
De même, d’anciennes ethnies d’esclaves continuent d’être traitées comme tels. Un phénomène qu’aggravent les conflits. Exemple au Soudan, où les populations arabes du Nord ont pris l’habitude d’enlever les femmes Dinka (population noire du Sud Soudan). Définitivement coupées de leurs familles, elles sont utilisées pour surveiller le bétail dans les fermes de leurs ravisseurs. Le chômage des jeunes rentre aussi en ligne de compte dans le développement du travail forcé. Ceux qui sont en âge de travailler ne trouvent pas d’emploi alors que leurs familles ont besoin des ressources qu’ils pourraient éventuellement dégager en exerçant une activité. Certaines législations africaines autorisent le travail des enfants à partir de 14 ans (la norme internationale fixe cet âge à 15 ans).
Les femmes et les enfants : premières victimes
Ce travail forcé prend de multiples formes en Afrique. Il s’agit souvent de travail domestique et de travail agricole mais le phénomène renvoie également aux enfants soldats recrutés lors des différents conflits qui ravagent le continent. À cela s’ajoute, un fléau récent : la traite vers l’Europe des femmes et des jeunes filles à des fins sexuelles. À noter que 98%, des 56 % de femmes qui sont exploitées dans le monde, le sont au profit de l’industrie du sexe. Le phénomène de la traite « sexuelle » est d’autant plus pervers que « les victimes deviennent souvent des trafiquants », note Asha D’Souza.
La traite, qui concerne 130 000 Africains, prend souvent des allures, comme partout ailleurs, de pratique communautaire et est, par conséquent, liée au nombre de migrants qui se sont établis en Europe. « J’étais récemment en Hollande où a été démentelé un réseau de fraude de permis de travail tenu par des Nigérians et des Ghanéens. Ils faisaient venir des ressortissants d’Afrique de l’Ouest à qui ils fournissaient un permis de travail. Travail dont les deux tiers de la rémunération revenait aux responsables du réseau », explique la spécialiste du BIT.
Pourtant comme le rappelait, le directeur général de l’OIT, Juan Somavia, lors du lancement du rapport, le travail forcé prend de l’ampleur mais n’est pas une fatalité. C’est du moins dans ce sens que travaille le BIT notamment en Afrique de l’Ouest. C’est ainsi que dans le cadre des efforts de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour lutter contre la traite des êtres humains (matérialisée par la signature d’une déclaration en 2001), des projets ont été lancés au Ghana et au Nigeria afin de lutter contre cette pratique.
De même, au Bénin, au Burkina Faso, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Ghana, au Mali, au Nigeria et au Togo, le BIT oeuvre dans le sens d’une « approche intégrée de l’élimination de la traite des enfants » dans la sous-région. À noter que l’action de l’organisation, en matière de lutte contre le travail forcé en Afrique, tient compte de l’importance du contexte socio-culturel dans le développement du fléau.
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