L’artère ferroviaire Ouagadougou-Abidjan est de nouveau interrompue. La reprise des hostilités en Côte d’Ivoire, jeudi, a poussé la compagnie Sitarail à annuler le train prévu samedi dernier pour Abidjan. A la gare de Ouagadougou, une centaine de Burkinabés et d’Ivoiriens, sur place depuis quatre jours, entre inquiétude et espoir, attend de rentrer chez eux.
De notre envoyé spécial Saïd Aït-Hatrit
L’horloge de la gare de Ouagadougou indique 7h20, ce mardi 9 novembre. Les agents ferroviaires ont annoncé la veille à la centaine de voyageurs dont le train Ouaga-Abidjan a été annulé, samedi dernier, en raison de la reprise des hostilités en Côte d’Ivoire, que celui de mardi est maintenu. Une majorité de ces voyageurs, burkinabés et ivoiriens pour l’essentiel, ont dû dormir et se nourrir sur place depuis quatre jours. Le départ est prévu à 8h30. En attendant, de jeunes hommes se protègent du soleil, devant la gare, grâce à l’ombre de la toiture en béton de l’imposant édifice, qui se prolonge sur une dizaine de mètres. A l’intérieur, des dizaines de personnes âgées, ainsi que quelques femmes et enfants, préfèrent garder leur place assise sur l’un des six longs bancs en lattes de bois de la gare.
Les murs de l’enceinte, hauts d’environ dix mètres, ne disposent pas de fenêtre. Mais d’une série de longs portails en métal forgé et décorés de motifs ronds et ovales, sur lesquels repose un mur en béton. L’ensemble ne laisse passer les rayons du soleil qu’avec parcimonie. Au contraire, le peu d’air extérieur disponible s’y engouffre sans obstacle. Le square Naba Koom, qui fait face à la gare, est étrangement vide. Les tables et les chaises en métal, peintes en blanc, qui meublent les maquis, espacées d’arbustes et d’une légère pelouse, ne trouvent pas preneurs. Les gargotes commencent à peine à ouvrir. Elles sont de toute façon trop chères pour la majorité des voyageurs.
« Obligé de rentrer »
Deux d’entre-eux, les traits tirés par quatre jours d’attente, viennent néanmoins demander de l’eau au serveur du seul maquis ouvert, qui les satisfait. Abrité du soleil, contre le mur en brique rouge du square, chemisette blanche et pantalon vert en toile poussiéreux, baskets blanches, Bakari vit à Abidjan depuis sept ans. « Je travaille à la mairie de la ville », explique-t-il, fière, en montrant sa carte professionnelle. Sur les hostilités qui ont repris : « J’ai un peu peur, mais je n’ai pas le choix », explique-t-il dans un hochement de tête résigné. « Ma famille est là-bas et je suis obligé de rentrer ».
Son compagnon d’infortune, Moussa, 24 ans, chemise manches longues et pantalon en toile gris froissés par trois nuits à la belle étoile, se rend également dans la capitale économique de la Côte d’Ivoire. « C’est la première fois que je vais à Abidjan », explique-t-il dans un rire gêné, comme pour relever sa malchance. Tout aussi résigné que son ami, il explique devoir s’y rendre pour trouver du travail. Ses craintes, il préfère ne pas trop y penser. Malgré le fait qu’il ne dispose que du numéro de téléphone de ses amis, sur place, et qu’il ne sait pas où ils vivent.
Tous deux regrettent que ni la Sitarail, ni les autorités burkinabés ne leurs soient venues en aide. « Ils ne nous donnent même pas à manger. Certains font le ramadan et ne peuvent même pas rompre le jeûne le soir », s’indigne Moussa en montrant des vieillards assis sur un banc de la gare. « Tout notre argent est parti dans le billet », ajoute Bakari, en sortant le minuscule papier de son portefeuille, d’où apparaît la somme de 35 000 FCFA en gros caractères. Plutôt que d’aller dans les maquis, ceux qui le peuvent s’en retournent vers les vendeurs ambulants de beignets de mil et de boissons, bien meilleur marché. « Si au moins ils acceptaient de nous rembourser », regrette Moussa. De fait, Abdoulaye, boucher dans le quartier de Port-Bouët, où sa famille est restée, assure qu’il renoncerait à son voyage s’il pouvait récupérer son argent. Et qu’il quitterait même la Côte d’Ivoire si s’il en avait les moyens.
« Vous pouviez être tué pour rien »
Il est un peu plus de 8h30 et le train n’est toujours pas annoncé. Aucun agent de la Sitarail n’est visible, à part le responsable des bagages, qui garde derrière son guichet, dans un espace bouclé d’une centaine de mètres carrés, un amas de sacs, matelas et énormes caisses en bois. Mais aucune agitation n’est perceptible. Khalilou part également à Abidjan. Le jeune homme dépareille dans le paysage de la gare. Petites lunettes de soleil ovales, la coupe courte et la barbe soigneusement taillée, le pantalon et la veste en jean sur un polo bleu parfaitement repassés, les mocassins en cuir marron sur des semelles blanches intactes, il s’est renseigné lundi avant de venir à la gare. Sur la situation en Côte d’Ivoire, « je ne suis pas trop inquiet. J’ai joint ma famille hier et ils m’ont dit que ça allait », indique le jeune adulte, le casque relié à une radio branchée sur Radio France Internationale.
« Ils annoncent que des patrouilles mixtes, entre l’armée ivoirienne, les Français et l’Onuci ont commencé à se déployer… » Le jeune adulte explique travailler dans un cabinet bancaire et vivre dans le quartier – huppé – de Cocody. « Je suis Ivoirien », indique-t-il en appréhendant sans doute la question. « Je suis venu voir un ami à Ouaga, mercredi dernier. J’ai beaucoup aimé mon séjour, la population et le calme du pays. C’est la première fois que je venais », précise-t-il. Après hésitation et malgré sa « nature optimiste », Khalilou admet avoir eu du mal à supporter la pression qui a suivi la rébellion du 19 septembre. « Beaucoup d’innocents sont morts. Vous pouviez être tué pour rien. »
Devant le seul guichet ouvert de la gare, une jeune fille va à la chasse aux informations. « C’est ma grand-mère qui part », explique-t-elle en montrant la vieille femme assise sur ses bagages. Elle aussi se dit rassurée, après avoir pu contacter sa famille en Côte d’Ivoire. Mais n’en a pas l’air convaincue. Lorsque la ligne Ouaga-Abidjan a été interrompue, en 2002, la majorité des citoyens ivoiriens qui souhaitaient se rendre dans leur pays d’origine passaient par le Ghana, dans un voyage rendu hors de prix par le racket enduré.