Par Pierre Antebi*
Pour tout Français habitué aux plaintes catégorielles contre nos gouvernants – souvent fondées, mais pour le moins récurrentes -, le Togo n’est a priori qu’un autre pays de pleurnicheurs. Un autre pays ou l’on ne s’attarde à parler de politique qu’après avoir débattu de la météo et que pour critiquer les élites politiques, « toutes corrompues « . Ce constat erroné prend du temps à s’estomper du fait d’un certain complexe de yovitude (yovo en éwé signifiant blanc).
En effet, il est délicat pour un Occidental – surtout si sa couleur de peau trahit son origine – de distinguer la plainte désintéressée de certains de la volonté d’autres de forcer l’apitoiement pour obtenir quelque argent.
Ce n’est qu’une fois ce stade dépassé que la leçon peut commencer.
De notre point de vue franco-français, il semble peu crédible qu’une masse d’employés du secteur public puisse ne pas recevoir de salaires pendant sept mois sans broncher. Impossible, notre interlocuteur doit se tromper ! Ces gens du Sud exagèrent donc toujours !
Et bien, non ! Cela est possible puisque cela a eu lieu cette année et ne semble d’ailleurs pas devoir s’arrêter : depuis janvier les salaires de la majorité des fonctionnaires ne sont plus versés (surtout ceux des enseignants mais surtout pas ceux des militaires). Si la grève est interdite, pourquoi ne pas démissionner, aller dans le privé, fonder sa propre entreprise, sa propre école ?
» Ici, on mélange tout, nous confie un enseignant togolais. Qui démissionne est contre le pays, contre l’État, contre le pouvoir, contre Eyadéma. Donc, qui démissionne disparaît. »
Et c’est là qu’est la leçon. Ce qui peut apparaître aux yeux d’un Français comme une pleurnicherie de plus, est à une population sous le joug d’un même homme depuis 1967 ce que les chants étaient aux esclaves noirs d’Amérique : l’ultime moyen d’exprimer leur peine, de revendiquer leur humanité.
* Pierre Antebi a 22 ans. Il est l’un des principaux animateurs de l’association » Cap Togo « . C’est son deuxième voyage au pays d’Eyadéma en tant que coordinateur de cette ONG.