Le temps retrouvé de Mustapha Tlili


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arton14877

Le dernier roman de Mustapha Tlili, « Un après-midi dans le désert », est une recherche infinie des causes du passage du temps et de l’effacement du présent. Menée comme un roman policier. Et belle comme une femme bédouine.

Tout le livre repose sur un contraste saisissant, qui mord la conscience à toutes les pages presque, celui de deux époques très différentes, les années mille neuf cent quarante et la fin du vingtième siècle, deux époques où sont saisis deux instantanés d’une petite société humaine, dans un coin perdu du Sahara (on dirait) algérien.

Ni déploration ni enthousiasme

Ce contraste n’est vécu ni sur le mode de la déploration (les travers insupportables des colons y figurent dûment, de même que l’ennui profond d’une petite société blanche confinée, de même que les contradictions de la société arabe qui lui fait face et se mélange à elle de manière secrète ou marginale) ni sur le mode de l’enthousiasme révolutionnaire et libérateur (car d’autres travers ont succédé aux premiers, et les bêtises de l’arbitraire, de la police ou de la bureaucratie font peu de cas des personnes qu’elles détruisent sur leur passage).

Entre ces deux instantanés, c’est toute l’aventure paradoxale et plurielle d’un village livré sans défense aux soubresauts de l’histoire qui se joue : des deux fils exceptionnels d’Horïa El-Gharib, cette femme en qui s’incarne l’épopée héroïque et fondatrice de la Montagne du Lion, l’un et l’autre suivront des études supérieures, grâce au dévouement sans faille de l’instituteur juif, Monsieur Bermann… Qui retournera en France rejoindre sa femme et son fils…

« L’Américain et « Petit Frère », le « hors-la-loi »…

Mais l’aîné des El-Gharib, « l’Américain », réussira au Nord, tandis que son cadet, « Petit Frère », combattra l’Occident sur tous les fronts, guerrier libre dressé aussi contre le nouveau régime installé dans son pays, et contre l’Islam, religion qu’il accuse et met en cause, dans une spirale marxiste et violente…

Par un mouvement fatalement centrifuge, ce sont tous les habitants de la Montagne au Lion qui vont peu à peu s’éloigner dans l’espace, rejetés par des cahots successifs de l’Histoire, emportés par la décolonisation, puis par l’émigration en Europe ou ailleurs, les maisons retournant progressivement à la poussière, le sable reprenant ses droits, les peupliers desséchant après la captation de la rivière, pour irriguer d’éphémères usines d’uranium, promises elles aussi à la mort.

Tout est fugace

Tout est fugace, rien ne dure, les sentiments et les situations n’ont qu’un temps, les amours s’enchevêtrent et se dissolvent soudain, les attaches se rompent, et dans les mémoires des habitants la mémoire même se tarit de ce que fut ce lieu, de ce qu’en furent les âmes, envolées.

Poignant souvent, drôle surtout, sans indulgence mais sans cruauté, Mustapha Tlili redonne vie à cette communauté originale, qui n’a pu s’enraciner que dans ce lieu magique, dans une courte période de l’histoire humaine, en marge du reste du monde. Avant, après, c’était autre chose, ce sont d’autres gens. Ce moment précis, ses protagonistes, ni grands ni petits, mais tous justes, c’est ce que parvient magistralement à nous révéler l’écrivain.

Nous en faire les éternels héritiers

On repose le livre, on appartient désormais à une nouvelle famille, celle qui garde mémoire de la Montagne du Lion. Et on serait prêt à reprendre le fil de la même histoire, à travers les yeux d’un autre protagoniste. Mustapha Tlili a réalisé cette merveille : un roman infini, qu’on pourrait infiniment creuser, relire et réécrire, à travers d’autres yeux. Il a réussi cette gageure : faire de nous des héritiers de La Montagne du Lion. Et soucieux, comme lui, d’en explorer les passages, d’en trouver le sens et d’en garder mémoire.

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