Malgré les inquiétudes de la Banque mondiale et les critiques virulentes de l’opposition et de la société civile tchadiennes, les députés du Tchad ont voté jeudi la modification de la loi 001 de 1999. Celle-ci avait été exigée par les bailleurs de fonds pour assurer la transparence de la gestion des pétrodollars et permettre d’en faire profiter les populations locales.
Deux ans après avoir produit son premier baril de brut, le Tchad révise sa loi sur le pétrole. Jeudi, les députés ont adopté, à 119 voix contre 13 et au terme d’un débat expéditif de deux heures, un projet de loi qui vide de sa substance la loi 001 de 1999, instaurée pour réduire la pauvreté dans le pays. La loi 001, unique au monde, avait été exigée par les bailleurs de fonds, notamment la Banque mondiale, en échange du financement de l’oléoduc Tchad-Cameroun. Elle devait assurer la transparence de la gestion des pétrodollars et, surtout, permettre d’en faire profiter les populations locales.
Ainsi, elle régissait la répartition des revenus du pétrole, avec 10% déposés sur un compte bloqué à destination des générations futures, 15% pour le budget général, 5% pour les collectivités locales de la région pétrolière de Doba et 70% pour les secteurs prioritaires (éducation, santé, eau, transports, développement rural et environnement). Le nouveau projet de loi supprime le fonds destiné aux générations futures et fait passer de 15 à 30% la part des recettes versées, sans aucun contrôle, au trésor Public tchadien. Il ajoute, en outre, la justice et la sécurité aux secteurs prioritaires. Enfin, cerise sur le baril, il change la composition du collège – plus vraiment « indépendant » – chargé d’approuver les investissements réalisés grâce à la manne pétrolière.
La Banque mondiale est « inquiète »
Le gouvernement tchadien a aussi fait valoir qu’il avait besoin de l’argent maintenant pour « combattre la pauvreté » et « financer le développement ». « L’ancienne loi est absurde, elle n’a pas tenu compte des réalités. La génération future est une génération fantôme. Il faut modifier la loi pour permettre à la génération actuelle de profiter du pétrole », a notamment justifié Kassiré Coumakoye, un député de la majorité.
Début décembre, Paul Wolfowitz, le président de la Banque mondiale, s’était dit « inquiet » des conséquences de la révision de la loi et l’institution a menacé de se retirer du projet d’oléoduc. Ce qui fait redouter à certaines ONG une rupture entre N’Djaména et les institutions financières internationales. Quant à la société civile tchadienne et à l’opposition, elles critiquent violemment cette révision depuis deux mois. « Supprimer le fonds des générations futures, c’est, ni plus ni moins, chercher à dilapider rapidement les fonds pétroliers », indique le député d’opposition Ndoubabé Tomel.
Question de souveraineté nationale
Le pouvoir tchadien, confronté à une grave crise financière, avait annoncé en octobre dernier son intention de modifier le texte afin, selon lui, d’« optimiser » l’utilisation des revenus pétroliers. Le Tchad devrait tirer 2 milliards de dollars de bénéfices par an des réserves pétrolières du bassin de Doba, estimées à 25 années de production.
L’adoption du projet de loi intervient un jour après l’annonce, faite par le ministre tchadien du Pétrole, Mahamat Nasser, de la découverte d’un nouveau champ de brut dans le Sud du pays, à proximité des trois qu’il exploite déjà. « Cette découverte conforte le gouvernement dans sa logique d’avoir une loi de portée générale devant régir la gestion des revenus pétroliers provenant de tous les champs pétroliers sur l’étendue du territoire national. C’est l’objectif premier recherché par la révision de la loi 001 », avait expliqué, mercredi, M Nasser. Pour entrer en vigueur, le texte doit être signé par le Président Idriss Deby, mais celui-ci y a publiquement apporté son soutien en affirmant que les pressions étrangères exercées pour empêcher son adoption relevaient de « l’atteinte à la souveraineté nationale » de son pays.