L’absence ou le non-respect de la législation contre le tabagisme en Afrique francophone favorise la promotion et la vente sauvages de cigarettes sur le continent. Les principales cibles des cigarettiers sont les jeunes et les femmes. Les gouvernements sont souvent impuissants devant les géants du tabac qui pour certains font vivre l’économie de leur pays.
Fumer est mauvais pour la santé, mais bon pour l’économie. C’est un peu l’équation fataliste face à laquelle se trouvent confrontés certains pays africains francophones, désireux de protéger leur population contre la promotion sauvage des grands producteurs de cigarettes. Les géants du milieu profitent des vides juridiques ou du non-respect des réglementations en matière de tabac pour séduire les jeunes et les femmes. Mais il est difficile pour les Etats dépendants économiquement de cette industrie de la rappeler à l’ordre, par crainte de voir ses revenus sérieusement revus à la baisse.
Cigarettes de mauvaises qualité pour l’Afrique
En Afrique francophone, le Mali, à l’image du Sénégal, est un des pays précurseurs en matière de lutte contre les firmes de tabac qui transgressent les lois. Le parlement a d’ailleurs été le premier à recevoir, en 1996, la médaille Tabac ou Santé de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). L’exemple le plus probant de cet engagement pionnier est la victoire de SOS Tabagisme, le 13 avril 2000, face à Craven A lors d’un procès qui devrait rester dans les annales. L’association avait saisi, le 24 janvier 2000, le tribunal de première instance de Bamako pour demander la cessation d’une vaste campagne publicitaire destinée à vanter la marque de cigarettes. Le juge a finalement condamné la firme à mettre un terme à la fête de la cigarette Craven A et l’a condamnée à payer un franc symbolique, estimant que sa campagne visait les jeunes et les adolescents, ce qui est interdit dans le pays.
Pour Maître Mahamane Cissé, également fondateur de SOS Tabagisme, cette décision pourrait bien servir de base de défense si un pays décidait de mener une action similaire. Et, selon lui, il y aurait matière à assigner d’autres firmes en justice. Certaines augmenteraient les doses de nicotine pour provoquer une dépendance plus rapide chez les fumeurs. Ailleurs, « les firmes se rabattent sur l’Afrique qui représente un marché potentiel de 700 millions de consommateurs, essentiellement des jeunes. Ils vendent notamment des produits de moins bonne qualité qu’en Europe, avec des taux de goudrons qui atteignent 17 mg dans certains pays du continent, comme au Burkina Faso ou au Sénégal, contre 12 mg dans les pays occidentaux, car il n’y a pas de réglementation dans ce domaine », assure-t-il. Le Docteur Roberto Masironi, responsable du programme anti-tabac de l’OMS, va plus loin. Il estime que le « tabac à haute teneur en goudron, trop dangereux pour être fumé par les Européens, est exporté vers l’Afrique et d’autres pays du tiers-monde, là où les lois sont moins restrictives », rapporte Afrique et Santé.
Les firmes profitent du vide juridique
C’est effectivement au niveau de la législation que le bât blesse. « En Afrique francophone, seuls le Mali et le Sénégal ont une législation qui interdit de faire de la publicité dans les médias ou de fumer dans les lieux publics. Les autres adoptent des réglementations, mais qui ne sont pas appliquées. Mais au bout du compte, seul le Mali respecte vraiment ces mesures », souligne l’avocat. Et le Dr Kouassi Boko, président de l’organisation non gouvernementale (ONG) ivoirienne Sauvons le poumon, d’ajouter : « Ici, il existe une loi qui dit, par exemple, de ne pas fumer dans les écoles. Mais elle n’est pas appliquée. On ne doit pas fumer dans les lieux publics, de façon générale, mais cela non plus n’est pas respecté ».
Les industries ciblent en priorité les jeunes et les femmes. Selon une étude faite dans certains quartiers de Côte d’Ivoire par l’ONG Sauvons le poumon, « 30% des élèves interrogés au cours de notre enquête ont répondu clairement que les tableaux publicitaires leur donnent envie de fumer », rapporte Fraternité Matin. En plus des publicités attrayantes, les prix des cigarettes, qui peuvent être vendues à l’unité ou offertes dans certains occasions, est à la portée de leurs petits moyens. Autres moyens de séduction vanter les produits et le prestige qu’ils apportent dans des messages en langue locale pour toucher un maximum de gens, jusque dans les zones rurales. Une affaire en or pour ces entreprises qui de plus en plus courtisent les Africains pour combler les pertes de clients enregistrées en Europe. La faute aux hausses de prix dissuasives et des législations imposant l’inscription de dangers du tabac. A tel point que les industries se battent pour dominer le marché.
Les Etats dépendants de la cigarette
Une lutte sans merci dans laquelle les gouvernements ne peuvent pas toujours interférer, au risque de voir leurs intérêts partir en fumée. « Ces industries financent des activités sportives et culturelles dans plusieurs pays et rapportent de grosses sommes d’argent aux Etats, ce qui les soulage. Au Mali, elles ne sont plus autorisées à financer des événements sportifs. Mais la société British American Tobacco (BAT), qui détient Craven A, emploie directement 20 personnes et détient plus de 7 600 points de vente. Chaque année, BAT à elle seule reverse au Trésor public plus de 7 milliards de FCFA. Et c’est sans compter les diverses cotisations salariales versées », commente Mahamane Cissé. De quoi expliquer que certains pays ne puissent pas se permettre de critiquer les méthodes douteuses, voire dangereuses des cigarettiers.
Pourtant, la seule solution aux dérives réside en grande partie dans un engagement ferme des politiques. « Le combat est très difficile, mais les gouvernements doivent prendre en compte les enjeux économiques, mais aussi ceux de santé publique. Il faut que les Etats ratifient la Convention cadre sur le contrôle du tabac (CCLAT) de l’OMS », qu’on signé une trentaine de pays africains, explique le président de SOS Tabagisme. Au Mali, la traque aux abus semble avoir porté ses fruits. « Depuis que les associations se battent, les industries tendent à respecter la législation. D’ailleurs, lorsque nous observons des irrégularités, nous les avertissons que si les choses ne changent pas d’ici peu de temps, des mesures seront prises », poursuit l’avocat malien. Des actions ont été menées avec la police pour interdire les publicités dans les rues et protéger les plus jeunes du tabac. Car mieux vaut ne pas perdre de temps avec un problème qui consomme le continent à petit feu.
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