L’Etat algérien s’est engagé dans une vaste réforme de son système bancaire. Celui-ci, obsolète et rigide, est l’objet des critiques des investisseurs étrangers comme des simples citoyens. Où en est la modernisation annoncée ? Le point avec Abderrahmane Benkhalfa, secrétaire-général de l’Association des banques et des établissements financiers (Abef).
Le 9 mai dernier, Mourad Medelci, nouveau ministre des Finances depuis une semaine, a limogé les directeurs généraux de plusieurs grandes banques publiques : ceux du Crédit populaire d’Algérie (CPA), de la Banque extérieure d’Algérie (BEA), de la Banque algérienne de développement rural (Badr) et de la Caisse nationale d’Epargne populaire (Cnep). Le message est clair : il faut accélérer la restructuration d’un secteur qui limite les capacités de l’économie dans son ensemble. A l’orée de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et alors qu’elle cherche à attirer les investisseurs étrangers, l’Algérie doit sans conteste améliorer son système financier, héritier d’une économie planifiée à la soviétique. Aujourd’hui, les liquidités de secteur bancaire algérien sont évaluées à plus de 14 milliards de dollars et les réserves en devises étrangères à plus de 40 milliards de dollars. Mais la majorité des établissements financiers restent rigides et inefficaces et les banques publiques gèrent environ 90% des avoirs et prêts bancaires de l’Algérie. Explications avec Abderrahmane Benkhalfa, secrétaire-général de l’Association des banques et des établissements financiers (Abef) qui, depuis 1995, représente la profession bancaire.
Afrik : Pouvez-vous nous dresser un portrait du paysage bancaire en Algérie ?
Abderrahmane Benkhalfa : On compte plus de 30 acteurs sur le marché : plusieurs grandes banques nationales encore publiques et une série de banques internationales. Le secteur public représente 90% du marché des ressources et des crédits. Le marché algérien est en mouvement mais il n’a pas encore atteint un niveau suffisant en ce qui concerne le nombre d’acteurs et de produits bancaires. En Algérie, la banque est une banque de services et de financements. Le marché financier, qui complète le système bancaire, est peu développé. Il s’adresse à des entreprises de standing comme la Sonelgaz ou Air Algérie. Les PME-PMI qui n’y ont pas accès se tournent donc vers la banque. Quelque 100 000 petites, moyennes et micro-entreprises naissent chaque année et se développent avec des fonds bancaires. Et plus seulement à Alger. L’Algérie compte un vrai tissu d’entreprises qui ont un besoin permanent des banques.
Afrik : Quel est le taux de bancarisation ?
Abderrahmane Benkhalfa : Il est encore faible. Le taux d’extension des agences bancaires est bon même si 2004 a enregistré un recul avec l’extinction de deux banques algériennes. On a clôt l’année 2004 avec 1 200 agences bancaires réparties dans le pays. Vu la demande, le nombre d’habitants et l’étendue du territoire, il faut une couverture bancaire plus importante. D’ici 2010, il faudra créer 1 millier d’agences en plus. De plus, la pratique en matière de banque téléphonique est encore peu étendue, les Algériens ont une relation physique avec la banque, et nous prenons beaucoup de précautions dans le domaine de l’Internet.
Afrik : La situation bancaire est-elle sécurisée ?
Abderrahmane Benkhalfa : Début 2005, nous pouvons dire oui. La place est sécurisée et crédible. Nous avons connu des incidents, qui ont été pris en charge par un dispositif réglementaire et le système de contrôle est devenu plus fort, grâce à une nouvelle loi. Grâce à des coopérations multiples avec l’Union européenne, nous avons développé les compétences à l’intérieur des banques. Nous avons multiplié les formations pour l’évaluation des prises de risques. Les règles prudentielles ont été consolidées avec, depuis 3 mois, le contrôle de la lutte anti-blanchiment grâce à un système de vigilance et d’alerte à l’intérieur des grandes agences. Nous sommes moins exposés à la délinquance financière, car il y a moins de mouvements de capitaux.
Afrik : Depuis l’affaire Khalifa, n’y a-t-il pas une crise de confiance ?
Abderrahmane Benkhalfa : La facture de l’affaire Khalifa est lourde à payer. Ce genre d’incidents est dû au manque de professionnalisme de la place. Lorsque l’expansion est démesurée par rapport aux compétences internes de la banque, les risques gonflent trop. Et lorsque la maîtrise du risque n’est pas anticipée, l’établissement tombe… Les choses sont aujourd’hui plus maîtrisées. Il faut qu’il y ait de grandes banques nouvelles pour instaurer une concurrence au profit de l’usager.
Afrik : Mais la concurrence des grandes banques occidentales, comme la BNP ou la Société Générale côté français, n’est-elle pas négative pour les banques publiques algériennes ?
Abderrahmane Benkhalfa : Le développement des banques internationales européennes, libanaises ou des pays du Golfe est une bonne chose. Le marché algérien n’est une place fermée sur elle-même. Il y a des segments de marché qui ne sont pas encore couverts. Dans l’immobilier, il y a un besoin infini et produits haut et bas de gamme. C’est une concurrence positive et saine.
Afrik : Les investisseurs étrangers critiquent souvent le système bancaire algérien pour son manque de services et ses lenteurs administratives…
Abderrahmane Benkhalfa : Nous sommes en expansion continue, face aux besoins des entreprises, toujours plus nombreuses, et des millions de ménages algériens. Nous développons de plus en plus de services, comme les crédits à la consommation pour les particuliers, qui pourront bientôt avoir accès à la gestion de patrimoine. Nous souhaitons élargir le catalogue des produits, encore en décalage avec les besoins, augmenter la qualité des produits existants et multiplier les segments des services. D’un autre côté, la banque algérienne se modernise. Certaines pratiques sont en recul. Nous avons encore des efforts à faire dans la télécompensation des chèques et la dématérialisation des flux physiques. Début 2006, nous pourrons payer et échanger les chèques sans les envoyer dans les 1 200 agences du pays. Nous aurons un centre de télécompensation à Alger et des échanges de flux électroniques et non plus physiques. Tout cela représente un très gros investissement. Notre deuxième axe de travail est la mise en place d’une plate-forme de monétique interbancaire. Les cartes bancaires sont encore peu utilisées. Nous sommes dans une phase expérimentale avec 200 000 porteurs dont la carte est valable dans toutes les banques en Algérie et chez les commerçants qui font partie du réseau. En 2006, nous allons familiariser la population et les opérateurs à l’utilisation de la carte pour mettre, d’ici à la fin 2006, 50% des transactions sur support électronique.
Afrik : Et pour l’interbancalité à l’intérieur même des établissements ? Car jusqu’à présent vous ne pouvez déposer un chèque ou retirer de l’argent que dans votre agence et pas ailleurs en Algérie…
Abderrahmane Benkhalfa : Nous sommes en train d’acheter 1 400 stations de dématérialisation et de scannerisation, pour scanner les chèques. C’est un investissement technologique et informatique. Nous faisons tout cela avec beaucoup de précaution car le réflexe de fraude est important dans le pays. Nous pourrons effectuer le paiement à distance lorsque les réseaux télécoms seront totalement sécurisés et sans risque de virus.
Afrik : Qu’en est-il des transferts d’argent ?
Abderrahmane Benkhalfa : Il y a des transferts par Western Union depuis 2 ans. Trois ou quatre banques sont reliées à Western Union et nous comptons aussi des transferts par les comptes devises : il y en a 3 millions en Algérie, qui sont gérés dans les devises et non dans des dinars convertis. Mais les mouvements entre les comptes devises s’opèrent encore avec du retard. La diffusion au niveau régional prend du temps, parfois plus d’un mois. Ce n’est pas normal mais c’est à cause de la centralisation à Alger. En parallèle, l’activité de paiement des importations fait partie des transferts. Nous avons eu 18 milliards de dollars d’importations en 2004, traitées par le moyen d’opération au niveau des agences bancaires.
Afrik : Où en est la privatisation ?
Abderrahmane Benkhalfa : Dans un souci de modernisation, il est prévu que trois de nos opérateurs principaux ouvrent largement leur capital. Le Crédit Populaire d’Algérie (CPA) a terminé les périodes préliminaires, suivront la Banque du développement local (BDL) et la Banque nationale d’Algérie (BNA). Il s’agit de banques aux portefeuilles assainis, au bon niveau de performance et qui n’ont pas d’insuffisances internes. Les pouvoirs publics sont en train de relooker ces établissements pour avoir des partenaires de premier ordre à l’international.
Afrik : Quel est le poids du marché informel ?
Abderrahmane Benkhalfa : Il faut bancariser les établissements solvables et draguer le secteur informel qui fait que des opportunités et des tranches du marché ou du business échappent à la banque. Il faut faire fondre le marché informel en prenant des mesures pour faire en sorte que ce marché stagne ou s’éteigne. Mi-2006, nous espérons faire en sorte que celui qui dépose un chèque soit plus sécurisé que celui qui garde ses billets dans son armoire… Il faut s’adapter à la société, apprivoiser une clientèle qui fait des affaires en liquide et en dehors des circuits bancaires. Toutes les banques ont à y gagner.
Afrik : L’Algérie connaît-elle une situation de surliquidités ?
Abderrahmane Benkhalfa : Le mot est un peu fort, mais c’est vrai que nous avons un niveau de liquidité extrêmement élevé. Les ressources disponibles viennent des exportations des hydrocarbures, de l’épargne des ménages et des mises à disposition par le Trésor dans le cadre de l’assainissement des portefeuilles des banques (les entreprises publiques avaient développé des créances auprès des banques publiques que l’Etat a remboursé, ndlr). Ces ressources existent mais ne sont pas automatiquement transformables en crédits. Car il y a deux obstacles : les projets ne sont pas suffisamment matures et ces ressources sont volatiles, elles peuvent être retirées à tout moment par leurs propriétaires, il faut des techniques pour les pérenniser. Un crédit trop facile est synonyme de gaspillage ou d’un soutien qui ne pourra être remboursé. Mais comme il y a des ressources en quête de placement, nous allons diminuer ce fossé entre les entreprises et les banques.
Afrik : Où en est la recapitalisation des banques ?
Abderrahmane Benkhalfa : Elle se poursuit depuis 5 ans, progressivement. Les autorités monétaires ont décidé de multiplier par 5 le capital minimum des banques. Il fallait 500 millions de dinars, maintenant, il faut 2,5 milliards (soit 25 millions d’euros) pour créer une entreprise. La Banque des règlements internationaux (BRI) édicte des normes prudentielles pour tous les établissements, elles doivent être respectées. La recapitalisation des grandes banques permet une mise à niveau avec ses normes et la mise en place de plus grandes capacités de financement.
Afrik : En conclusion ?
Abderrahmane Benkhalfa : Nous sommes à un carrefour car nous sommes entrés dans une phase de développement du système bancaire, dans un pays où l’économie est sortie de sa léthargie, où les problèmes politiques et sécuritaires sont derrière nous. Nous sommes normalisés au niveau international, avec une future adhésion à l’Organisation Mondial du Commerce. Il va y avoir une réelle évolution dans les 5 années à venir. L’Algérie compte l’un des plus forts rendements sur investissement de la région. Le secteur bancaire est un marché prometteur qui a besoin de nouveaux produits.