Avec Cycle de sécheresse, et autres nouvelles, Cheikh C. Sow s’impose comme un maître de la nouvelle africaine, réussissant dans un style d’une netteté hallucinée à traduire une réalité parfois empreinte de mystique, où la douleur conduit tout droit à la folie.
Chacune des aventures suivies laisse le lecteur pantelant, dans l’explosion fixe des dernières images, au moment où tragiquement se dénoue la fin attendue de la narration, dont le cheminement tranquille, dans un style épuré de tout excès pathétique, nous place face à l’insupportable réalité de la condition humaine, dans des situations de détresse profonde, ou d’abandon absolu.
Le monde est à la fois naturel et mystérieux, et l’homme y découvre des phénomènes étranges, parfois dangereux, parfois salvateurs. Ainsi du mystère de la pêche miraculeuse, en pleine sécheresse, dans ce bosquet isolé, où, découvre-t-on soudain, les pélicans ont l’habitude de venir quotidiennement, depuis la mer, dégorger leur chargement de poissons. » Savais-tu que le ciel, royaume des oiseaux, n’est que le reflet des eaux ? »
Ainsi de l’improbable déchargement, sur un haut-fond, des caisses de nourriture et d’aide humanitaire apportées par un cargo, baptisé Strindberg, venu de la lointaine Suède, et qui se défiait des circuits de distribution officiels et préférait adresser ainsi directement son précieux témoignage de fraternité à ceux qui en avaient alors besoin, les pêcheurs Lebous de la côte…
Instantanés difficilement vraisemblables, à la limite du mirage, mais dont la force d’évocation est soudain bouleversante. Comme est terrible aussi la description, simple et juste, de la corruption des douaniers du port, ou de la cruauté mesquine des parvenus. Comme est confondant le récit de la quête spirituelle d’un groupe d’hommes affamés et désespérés, successivement confrontées à diverses sectes ou à diverses drogues, dont le héros comprend, au terme du parcours, qu’elle a été » une guerre secrète contre la misère des âmes et son masque : la trompeuse figure des idéaux et des religions opiums. »
Mais la lucidité de l’écrivain ne s’interdit pas de plonger au coeur des ténèbres de la nature, esquissant avec une simple enquête de faits divers l’aventure d’une tribu lycanthrope, dont les hommes se changent en panthère, où celle des Djakans, peuple de la forêt, qui en comprennent la faune, s’en font admettre, et peuvent utiliser ses forces irrésistibles contre leurs ennemis. Ce n’est que petit à petit, au fil des paragraphes distillés sagement que le rationnel succombe à l’imaginaire, que les puissances de l’ombre domptent celles du jour. L’écrivain nous a pris par la main, et l’on ne sait plus ni d’où l’on est parti, ni où l’on va. Simplement, on se raccroche fiévreusement à cette main, qui nous guide vers l’inconnu, avec la vague conscience de pénétrer un univers dont la face visible est trop simple, quand sa face obscure prolifère mystérieusement… De la littérature à couper le souffle.
Commander le livre : Editions Hatier 1991