Le stress des voisins africains de Sarkozy


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La présence du QG de Nicolas Sarkozy met les Africains du 10ème arrondissement de Paris sous pression. Les commerçants auraient perdu la moitié de leur clientèle… Reportage.

En cette grise matinée de février, la rue d’Enghien, à Paris, si vivante d’ordinaire, est calme. Très peu de passants s’y pressent. Au numéro 16, un grand étendard bleu flotte au vent. Dessus : « Ensemble, tout est possible », le slogan de campagne de Nicolas Sarkozy, ministre français de l’Intérieur et candidat UMP aux élections présidentielles de 2007, qui a installé là son quartier général de campagne depuis le début du mois de janvier. Désormais, à chaque extrémité de la rue des policiers en faction. « Chaque matin, quand j’arrive et que je vois tout ce déploiement policier, ça ne me rassure pas, au contraire, ça me stresse » nous confie Noëlle, élégante esthéticienne d’origine gabonaise installée dans la rue, il y a deux mois. Sur le trottoir, une riveraine, se dirigeant vers la laverie, assure que « l’ambiance a changé depuis que M. Sarkozy s’est installé dans le quartier. Il y a eu plusieurs manifestations pour qu’il s’en aille ».

Plus bas, dans la rue du Faubourg Saint-Denis et autour du métro Strasbourg Saint-Denis, un déploiement de forces de police digne des pires périodes d’émeute. L’on peut compter plus de dix camions et deux bus de police, ainsi qu’un régiment de CRS venu renforcer le dispositif. L’un des agents de forces de l’ordre explique qu’« officiellement, nous sommes là pour encadrer et surveiller une manifestation de sans-papiers, mais officieusement c’est pour la sécurité de M. Nicolas Sarkozy ».

« On est tous en règle, seulement les clients ont fui à cause de la police »

Sur le Boulevard de Strasbourg, Camara, un jeune ivoirien, rabatteur de clients pour un salon de coiffure afro déclare : « Depuis que Sarkozy est là, certaines personnes ne viennent plus car ils ne se sentent plus à l’abri à cause de la police ». Se prenant lui-même comme exemple, il explique : « Moi, dès que la police s’approche de moi, je me mets en position de fouille, pourtant je suis en règle ! » Joignant le geste à la parole, Camara écarte les bras et se penche en avant comme s’il se trouvait face aux agents. « La vue de la police effraie, que l’on aie des papiers ou non. C’est psychologique. Beaucoup ont fui la répression policière chez eux », confie un autre rabatteur, demandeur d’asile, originaire lui aussi de la Côte d’Ivoire. « Cette vision leur rappelle de mauvais souvenirs alors ils préfèrent fuir pour ne pas avoir d’histoire », ajoute-t-il.

« Ils peuvent emmener même l’armée rouge, on est là. On ne bouge pas », crie en chœur un autre groupe de rabatteurs en face du magasin MJC, sur le Boulevard de Strasbourg, heureux de pouvoir s’exprimer eux aussi sur le sujet. « On est tous en règle, seulement les clients ont fui à cause de la police » explique l’un d’eux. « Quand les gens viennent se faire coiffer, on ne sait pas qui est qui, qui a des papiers ou qui n’en a pas, c’est pour cela que les salons sont vides. Le commerce va mal, même la poste ! » renchérit un autre.

« Il exagère vraiment, Sarkozy ! Il nous fait penser à un président africain ! »

« Depuis que Sarkozy est là, ma clientèle a baissé d’environ 50% » assure Aby, une coiffeuse ivoirienne installée sur le boulevard depuis plus de dix ans. Même constat pour Alpha, originaire du Congo Kinshasa, gérant d’un salon de coiffure : « La fermeture du métro château d’eau et la présence de la police ont fait fuir la clientèle. Je suis apolitique mais je voudrais savoir s’il y a un lien entre les travaux dans le métro et l’installation de Sarkozy dans le quartier ». « Quel coïncidence ! » s’exclame Diakité, rabatteur depuis plus de cinq ans, qui ajoute qu’« en 2002, quand Chirac était ici, il n’y avait pas ce problème. Je l’ai salué à deux reprises. Je suis un témoin oculaire. Il n’y avait pas autant de policiers. Hier soir, vers 21h, je me suis fait contrôler deux fois ! » Alpha ne peut s’empêcher de faire lui aussi la comparaison : « En 2002, quand le QG de Chirac était basé dans la quartier, ce n’était pas comme ça. Il exagère vraiment, Sarkozy ! Il nous fait penser à un président africain ! ».

Pour Thierry, responsable d’un fast food africain, au niveau du métro Château d’eau, le déploiement de forces de police orchestré par le candidat UMP et ministre de l’intérieur signifie : « Rassurez-vous, je vous ai à l’œil ! » La baisse de la fréquentation des commerces ne concerne pas que les Africains dans ce quartier très cosmopolite. Les autres communautés sont également touchées par ce problème, notamment les Kurdes, à l’exemple de Rodi, installé dans la rue d’Enghien depuis 2 mois, qui déclare : « Depuis que Sarkozy est dans le quartier, ma clientèle à baissé de moitié. Je ne sais pas comment je ferai pour payer le loyer et les charges. » Un peu plus loin, dans un vieux bar turc, trois ouvriers prenant leur café au comptoir affirment qu’« on se croirait au mois d’Août. La fréquentation du bar a beaucoup baissé à cause des policiers. Le matin quand on vient, ils sont déjà là ! ».

Mais la baisse de fréquentation du quartier ne fait pas pour autant perdre le nord à ceux qui y font commerce. A l’image de Camara, le rabatteur, qui, avant que je ne regagne les locaux d’Afrik.com, n’a pas manqué de m’inviter dans son salon : « J’ai une coiffeuse qui est libre, et qui n’est pas chère ! »

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(Photo: Sol’Ange Léo)

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