Dans ses mémoires « Le souffle du Dahra », Benali Boukortt, féru militant pour l’indépendance de l’Algérie, relate le combat de la résistance algérienne contre l’oppression coloniale. Son témoignage authentique a été réédité par sa fille Lila Boukortt, pour que les nouvelles générations puissent s’imprégner de cette page sombre de l’histoire de l’Algérie. Entretien avec celle qui est plus que jamais fière de son père.
Benali Boukort est parmi les plus illustres militant pour l’indépendance de l’Algérie durant la guerre qui l’a opposée à la France. Emprisonné à plusieurs reprises, soumis constamment à la torture, il n’a jamais failli à son combat pour une Algérie libre. Lui, a entamé très tôt la lutte pour que le peuple algérien retrouve sa dignité, en militant aux Jeunesses communistes dès 1924. Il deviendra même le Secrétaire général du Parti communiste algérien, avant de rompre définitivement avec ce dernier pour défendre ses propres idéaux. C’est son vécu mais aussi celui de l’Algérie durant la lutte pour son indépendance qu’il raconte dans Le Souffle du Dhara, publié aux éditions Le Scribe l’Harmattan.
Afrik.com : Quel souvenir gardez-vous de votre père ?
Lila Boukortt : Mon père était un homme extraordinaire. Il a fait de grandes choses pour l’Algérie! Et je ne dis pas cela parce que c’est mon père. Mais malheureusement, cette page sombre de l’histoire de l’Algérie qu’il raconte dans ses mémoires, les historiens n’en parlent pas. C’est tabou. C’est Malheureux. Les Algériens veulent pourtant savoir ce qui s’est réellement passé, mais on refuse de leur dire la vérité. Les autorités promettent à chaque fois de faire en sorte qu’ils accèdent tous à cette page de leur histoire, mais rien n’est fait.
Afrik.com :Qu’est ce qui vous a poussé à rééditer le livre de votre père?
Lila Boukortt : Beaucoup de personnes : des Algériens, Marocains… m’ont poussé à le rééditer. Et j’ai décidé de me mettre au travail pour ça. La demande était pressante. Ce livre, je voulais absolument qu’il sorte. Cette réédition est beaucoup plus fournie car dans l’ancienne version, certaines parties avaient été censurées. L’historien Abdelkarem Benarab, très impliqué dans ce projet, m’a demandé s’il pouvait faire la préface, j’ai bien sûr accepté avec joie. Ce bouquin était très important pour mon père qui voulait contribuer, à travers ce qu’il a vécu, à écrire l’histoire de l’Algérie en racontant ce qui s’est réellement passé. Il y parle de sa vie politique, de ses rencontres, ses voyages, le fait qu’il ait été maltraité en prison.
Afrik.com : Et ses écrits dans les revues militants pour l’indépendance lui ont valu bien des soucis…
Lila Boukortt : Il écrivait dans des revues qui militaient pour l’indépendance de l’Algérie. Beaucoup de ses écrits l’ont en effet mené en prison. Il a été déporté trois ans dans le sud-algérien. Il a fait toutes les prisons d’Algérie. Il était en contact avec beaucoup de personnalités : Messali Hadj, Ferhat Abbas, qui ont tous lutté pour la libération de l’Algérie. Il décrivait tout ce qui se passait autour de lui. Le fait qu’il n’ait pas pu enseigner, alors qu’il avait été admis au concours national, a été une profonde blessure pour lui. Les autorités lui ont interdit cela, pour le punir à cause des activités qu’ils menaient pour la libération de l’Algérie. C’est ce qui l’a d’ailleurs poussé à s’impliquer davantage dans la lutte, car ses droits avaient été bafoués.
Afrik.com : Votre père avait une relation très particulière avec le Parti communiste dont il a été Secrétaire général avant de le quitter. Se sentait-il trahi par le stalinisme?
Lila Boukortt : Il a vécu en URSS, à Bakou, une région qui comptait beaucoup de musulmans. Il a été choqué du fait que ces derniers étaient privés de leur liberté. Il a constaté qu’on ne les laissait pas vivre librement et qu’ils subissaient la répression. Mon père était quelqu’un d’attaché à ses principes. Il n’a pas tardé à rompre avec le Parti communiste qui, selon lui, recevait aussi des ordres de Paris. Après avoir quitté le Parti communiste, il a continué le combat politique en Algérie.
Afrik.com : Malgré sa lutte sans merci contre le régime colonial, votre père avait un profond respect pour la culture française. Comment expliquez-vous ce paradoxe?
Lila Boukortt : Oui, effectivement il avait un respect profond de la culture française. Ce respect, il nous l’a transmis à nous ses enfants. Mon père était combattant du système colonial, pas de la France. A cet époque, les intellectuels parlaient tous français. Même avec nous, il parlait en français. Mon père a beaucoup lu les grands philosophes français comme Jean-Jacques Rousseau, Voltaire… Il aimait la littérature française.
Afrik.com : Dans ses mémoires, il a aussi consacré un chapitre au massacre de Sétif. Quel était son ressenti sur cette page sombre de l’histoire de l’Algérie?
Lila Boukortt : Il a été profondément marqué par cette partie de l’histoire de l’Algérie. Pis, il était meurtri. C’est une page sombre de l’histoire de l’Algérie, très douloureuse. Près de 47 000 personnes ont été tuées après cette révolte. Les Algériens ne pouvaient pas rester les bras croisés et attendre que les choses se passent. Ils se sont dits qu’ils devaient agir. C’est aussi après ce massacre que la lutte armée a réellement commencé à s’organiser.
Afrik.com : Quel héritage a-t-il laissé, selon-vous, derrière lui?
Lila Boukortt : Ce témoignage de mon père permettra à beaucoup de personnes de connaitre cette étape de la révolution algérienne. J’espère d’abord que le livre sera diffusé dans toute l’Afrique, pour que le maximum de personnes puissent y avoir accès. Mon père est parmi des milliers d’autres Algériens qui ont combattu pour la libération de leur pays. Il faut à tout prix que leur héritage soit préservé.