L’annulation de sa condamnation, pour vice de forme, a remis sur le devant de la scène le destin incertain de Mumia Abu-Jamal, journaliste indépendant, porte-parole des sans-voix américains, condamné à mort pour le meurtre d’un policier et détenu dans la prison de Pennsylvanie, aux Etats-Unis. La mobilisation internationale enfle…
Face obscure de la santé affichée par la première puissance mondiale, la montée de la violence dans les villes américaines et des tensions entre les exclus du système et les nantis du capitalisme triomphant. Mumia Abu-Jamal, journaliste indépendant, s’était fait le porte-parole des sans-voix, de tous ceux que l’Amérique bien-pensante ne veut pas voir et effectivement ignore.
Il est des figures symboliques : Mumia Abu-Jamal est devenu, à son corps défendant, un de ces hommes dont le destin incarne une fatalité, et dont la personnalité coïncide avec la mobilisation qu’ils suscitent. Sans qu’il soit possible, objectivement, de se prononcer à distance sur sa culpabilité ou non, les conditions de son procès méritent en elles-mêmes d’être commentées : à un jury sélectionné sur des critères raciaux, le juge qui conduisait les débats a soigneusement laissé ignorer qu’une alternative à la peine capitale existait, en l’occurrence la prison à perpétuité. C’est sur ces deux éléments que le juge fédéral Yohn s’est fondé pour casser la deuxième partie de la sentence prononcée par le juge Albert Sabo, qui portait la condamnation à la peine capitale. Mais la première partie, où la culpabilité de Mumia Abu-Jamal était proclamée, reste valide.
Qui tua le policier Daniel Faulkner ? Les défenseurs de Mumia Abu-Jamal réclament une révision pure et simple du procès, parce qu’un tueur à gage prétend avoir exécuté sur lui un contrat commandité par » l’Ordre fraternel de la Police « , une association sur laquelle Daniel Faulkner menait semble-t-il une enquête à la demande du FBI. Or le juge Albert Sabo était lui-même membre de cet Ordre… De là à le suspecter d’avoir voulu détourner tous les soupçons sur un coupable expiatoire, directement lié aux faits parce qu’il avait pris à parti le policier…
Mumia Abu-Jamal s’est-il trouvé par hasard là où il n’aurait pas dû être, et a-t-il été emporté dans cette tourmente judiciaire parce qu’il avait le physique de l’emploi (agitateur d’extrême gauche, noir, accablé par des peuves matérielles crédibles, telles que le pistolet qui donna la mort, enregistré à son nom…). Il est difficile, sans avoir eu accès aux pièces du dossier, de décider si tout cela se résume à une machination policière orchestrée avec la complicité d’un juge ami ou si Mumia Abu-Jamal a réellement été l’auteur des faits qui lui sont reprochés.
Toujours est-il que la mobilisation internationale gonfle : la Ville de Paris a fait Mumia Abu-Jamal citoyen d’honneur, comme l’avaient fait les villes de Montréal, Sans Francisco, Venise… Et une délégation d’élus est allé lui apporter cette nouvelle à la mi-décembre, en son pénitencier de Philadelphie : Fodé Sylla, président international de SOS Racisme, député européen, Angela Davis, Pierre Mansat, adjoint au Maire de Paris… Qui appelèrent à une mobilisation des autres capitales européennes pour la révision du procès.
Reste que la presse locale à fort tirage, comme le Philadelphia Daily News, sous le titre » Ah ces Français ! « , voient dans cette mobilisation un nouvel exemple de l’aveuglement d’un peuple qui, après avoir cédé aux Allemands, livré des juifs, honore aujourd’hui un » tueur de flic « … Et c’est aussi de la haine de cette presse populaire que Mumia Abu Jamal risque de pâtir : les juges américains sont élus, donc forcément sensibles aux courants dominants de l’opinion publique. Or lorsque les apparences de la culpabilité sont réunies, la vox populi a tôt fait de prononcer son verdict…
Quelle que soit l’issue du combat, Mumia Abu Jamal ne sera donc pas exécuté. Mais cette demi-révision d’un procès douteux ne satisfait personne : ni ses partisans, qui s’indignent de le voir croupir dans une prison où, depuis le 11 septembre, les conditions de détention se sont dégradées, ni ses adversaires, qui ne veulent pas voir sa peine commuée, par défaut, en prison à perpétuité. Ainsi son destin incertain devient-il paradoxalement le symbole des tragédies que vivent beaucoup de noirs d’une certaine Amérique, déshéritée, inégalitaire, sourde aux besoins sociaux et aux protestations de minorités de plus en plus fermées sur elles-mêmes.
De dénonciateur, le journaliste engagé, arrêté puis condamné, est devenu un symbole : ce n’est donc pas parce qu’il est noir, ni parce qu’il est journaliste, mais parce que nous nous faisons une autre idée des Etats-Unis qu’Afrik.com tenait aussi à participer à cette revendication unanime. Il faut un nouveau procès, il faut que la défense puisse se faire entendre, il faut que l’impartialité de la justice soit certaine. Car il serait insupportable que Mumia Abu Jamal ait été condamné pour ses idées et pour sa couleur de peau, dans un pays qui prétend défendre partout autour du monde les droits de l’homme.