Pendant plusieurs décennies, d’innombrables habitants des zones rurales d’Afrique ont rejoint les centres urbains, attirés par la perspective d’une vie meilleure. Dans la région sénégalaise de Fouladou, une initiative locale qui vise à améliorer la viabilité de l’agriculture tente d’inverser cette tendance, en mettant l’accent sur les semences.
Lamine Biaye, vétéran du Mouvement des paysans sénégalais aujourd’hui âgé de plus de 70 ans, est le fondateur et président de l’Association sénégalaise des producteurs de semences paysannes (ASPSP). Cette organisation s’appuie sur les connaissances locales et les systèmes d’échange pour dynamiser la biodiversité et améliorer la production de semences.
Après avoir mis en place des projets destinés à des groupes de femmes dans différentes régions du Sénégal, M. Biaye se concentre aujourd’hui sur la région de Fouladou, en Haute-Casamance. Il y a cinq ans de cela, il s’est installé dans le village de Djimini et a créé une ferme pédagogique spécialisée dans la production de semences et les techniques de maraîchage. Environ 350 femmes originaires d’une dizaine de villages de la région bénéficient actuellement des programmes de formation proposés par la ferme.
« C’est avant tout une question économique », a dit M. Biaye à IRIN. « Il y a beaucoup d’argent en jeu [dans les semences agricoles]. Nous savons que les multinationales ne facilitent pas les choses ».
Notant que les graines d’oignon commerciales coûtent entre 40 000 et 50 000 francs CFA (soit entre 70 et 80 dollars) le kilo, M. Biaye peste contre ce système dans lequel les agriculteurs n’ont plus les moyens d’acheter les semences dont ils ont besoin pour survivre — ce qui explique le caractère vital des efforts mis en œuvre par les mouvements locaux comme l’ASPSP. « Produire nos propres semences est nécessaire pour assurer notre indépendance alimentaire », a-t-il dit, en expliquant que les semences qu’il utilise sont « bien adaptées à notre sol et à notre climat ». « Nous savons que le changement climatique doit être pris en compte », a-t-il ajouté.
L’oignon violet de Galmi offre un bon exemple. « Quelles que soient les variations climatiques, c’est une variété qui pousse bien et qui arrive à maturité. Son potentiel de rendement est bon, même quand il y a moins de précipitations », a dit M. Biaye, en expliquant que les variétés d’oignons « soi-disant améliorées ou hybrides » sont beaucoup plus complexes et nécessitent l’utilisation d’intrants coûteux, comme des engrais et des pesticides, pour obtenir des rendements décents.
Fatou Diallo, qui est à la tête d’un groupe d’agricultrices à Djimini, a loué le travail accompli par l’ASPSP. « Cette formation est arrivée au bon moment. Jamais nous n’aurions cru pouvoir produire nos propres semences un jour », a-t-elle dit. « Nous avons fait un grand pas en avant. L’ASPSP nous a retiré une énorme épine du pied, car l’achat de semences représentait une grosse partie de nos dépenses. Aujourd’hui, nous sommes mieux préparées pour produire plus d’oignons et les vendre à nos voisins qui ne maitrisent pas encore la technique pour produire des semences d’oignon, qui sont très chères ici ».
La ferme de M. Biaye produit également des semences de riz — aliment de base au Sénégal — qu’elle fournit aux agriculteurs de la région. Une fois que ces agriculteurs ont récolté le riz, ils rendent la quantité de semences qui leur avait été donnée à la banque de semences, majorée de 25 pour cent ; ces semences sont stockées et chaque agriculteur pourra les utiliser ultérieurement. Cela veut dire que, tous les deux ans, les producteurs de riz qui participent au programme ont suffisamment de semences pour être autonomes.
Deux fois par an, Djimini organise une foire des semences qui attire des visiteurs de tout le Sénégal et même des pays voisins. Lors de ces évènements, les participants échangent non seulement des semences, mais aussi des astuces sur les meilleures pratiques agricoles. La foire représente également l’opportunité de vendre les produits des jardins maraîchers et de créer des liens entre les associations locales.
Redresser la situation
Dans les années 1960, 70 pour cent de la population sénégalaise vivait dans les zones rurales. Au début des années 1990, ce pourcentage était tombé à 57 pour cent et il est resté stable depuis. Comme dans bon nombre de pays africains, l’exode rural au Sénégal est lié aux piètres performances du secteur agricole, qui a enregistré une croissance faible, notamment en comparaison avec l’explosion de la population.
Le changement climatique (des précipitations plus faibles et moins prévisibles) et la baisse du prix des céréales, qui a entraîné un manque de fonds pour acheter des équipements et des semences, ont contribué à rendre le travail agricole moins intéressant que la vie dans les villes, malgré les incertitudes économiques dans les zones urbaines.
Bon nombre de Sénégalais originaires des zones rurales ont traditionnellement émigré en Gambie, pays enclavé dans le Sénégal, pour trouver du travail. Mais Djimini et les villages voisins enregistrent des arrivées de Gambie et des villes sénégalaises.
Les personnes qui ont des racines dans la région reviennent en plus grand nombre, souvent dans l’idée d’acheter des parcelles de terre et de s’essayer à l’agriculture. « J’ai décidé de revenir chez moi et de vivre de la terre. D’après ce que j’ai entendu dire, on peut faire des affaires ici. C’est mieux que de prendre des risques inutiles à l’étranger », a dit Abdoulaye Fofana, qui est revenu de Dakar, où il vendait des oignons et du sel.
Issa Mballo, 23 ans, a fait beaucoup de chemin pour trouver du travail — la Gambie, puis la Guinée-Bissau, ainsi que plusieurs autres régions du Sénégal — avant de rentrer chez lui à Djimini en 2013. À la fin de la dernière saison agricole, il a récolté 35 sacs de 50 kilos d’arachides, ainsi que de l’oseille, du gombo et des oignons cultivés dans le petit jardin maraîcher de sa famille. « C’est bien. Je pense que je peux réussir ici. Le sol est très fertile, alors on peut faire plusieurs récoltes sans avoir à utiliser d’engrais et de pesticides industriels », a-t-il dit à IRIN.
Selon le chef du village de Djimini, Oumar Sylla, les dernières formations proposées aux femmes du village dans le domaine des techniques d’agriculture biologique ont eu des retombées importantes. « Avant, nos femmes allaient au marché de [la ville voisine de] Velingara pour acheter diverses denrées alimentaires. Ce temps-là est révolu, et le mérite en revient à nos invités », a-t-il dit. Il a ajouté que, ces dernières années, la hausse des demandes de parcelles — qui ne peuvent pas toutes être satisfaites — prouve que son village va de mieux en mieux.
M. Biaye a été si convaincant que la femme du défunt chef de village lui a donné une parcelle suffisamment grande pour y construire sa maison et sa ferme éducative.
Multiplier les efforts
Cependant, les problèmes ne se sont pas envolés, et les effets du changement climatique aggravent la situation, tout comme les réactions des hommes à ce phénomène.
Le nom Djimini vient du mot mandingue pour dire « l’endroit où l’on s’abreuve aisément ». Les anciens du village parlent d’un temps où les habitants du village voisin de Velingara venaient ici, parce que l’eau était vraiment abondante et bonne. Mais la nappe phréatique est aujourd’hui bien plus basse qu’elle l’était auparavant. Il faut creuser jusqu’à 50 mètres de profondeur environ avant qu’un puits commence à se remplir.
Lorsque les sécheresses sont devenues plus courantes, à partir des années 1970, il est devenu plus difficile de cultiver des plantes. Afin de joindre les deux bouts, bon nombre d’agriculteurs se sont tournés vers l’abattage illégal d’arbres pour produire du bois pour la charpenterie ou pour faire du charbon de bois, une activité souvent à l’origine des feux de brousse, qui contribuent à renforcer la réduction de la couverture forestière et à la décimation de la faune locale qui jouait un rôle majeur dans l’écosystème local.
Mais les attitudes changent, et les comités de village s’attèlent à la protection de la forêt. À l’initiative de M. Biaye, « nous parlons des effets néfastes de la déforestation à nos maris. Et je pense que cela porte ses fruits », a dit la responsable d’un groupe de femmes.
Le succès appelle le succès
Des pompes motorisées sont aujourd’hui utilisées pour irriguer les nombreux jardins maraîchers de Djimini et de ses environs qui produisent plus que ce que leurs propriétaires peuvent consommer. Le surplus est vendu à Velingara, où les habitants chantent les louanges de Djimini et de l’eau.
Voir le dossier complet d’IRIN : Changement climatique et sécurité alimentaire