Les avocats et soutiens de Hissène Habré prétendent qu’il serait malade et demandent aux autorités sénégalaises que lui soit accordée une grâce.
Nous, les avocats de milliers de ses victimes, rejetons cette demande et exigeons que, conformément au verdict historique prononcé par les Chambres africaines extraordinaires (CAE) et aux obligations internationales du Sénégal, M. Hissène Habré purge la peine de la réclusion à vie à laquelle il a été condamné. Si M. Habré est vraiment malade (mais qui ne se souvient de sa prétendue “crise cardiaque“ à la veille du procès?) , un traitement adapté peut et doit lui être prodigué sans que l’exécution de sa peine ne soit suspendue par une mesure de grâce.
Ce jugement exemplaire, qui fait l’honneur du Sénégal et de l’Afrique, a établi que Hissène Habré a ordonné la commission de crimes ignobles – des milliers d’assassinats, l’usage systématique de la torture, l’esclavage sexuel, les viols – dont les survivants portent encore les stigmates. Ces personnes continuent de souffrir de douleurs chroniques liées aux mauvais traitements qu’elles ont subis.
Les obligations internationales du Sénégal lui interdisent le recours à la grâce. En effet, le Statut des CAE est clair sur la question. L’article 26.3 prévoit expressément que l’Etat de l’exécution des peines, ici le Sénégal, est lié par la durée de la peine prononcée par les Chambres. L’octroi d’une grâce présidentielle violerait les obligations du Sénégal découlant de l’accord signé avec l’Union africaine.
Ce principe a été souligné dans le jugement de la Chambre africaine extraordinaire d’assises d’appel du 27 avril 2017, en citant la jurisprudence du tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY). La Chambre d’appel a rappelé que le Sénégal exécute la sentence prononcée « pour le compte du Tribunal en application du droit international et non de son droit interne ». En conséquence, a déclaré la Chambre, « cet Etat (le Sénégal) ne peut en aucun cas … altérer la nature de cette peine, afin de ne pas remettre en cause son caractère véritablement international. » (paras. 564 et 565) On ne saurait être plus clair.
De plus l’article 26.2 du Statut précise que les peines d’emprisonnement doivent être exécutées conformément aux standards internationaux, et non nationaux. Les instances internationales telles que la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, la Cour interaméricaine des droits de l’homme, la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité contre la torture ont désapprouvé les grâces prononcées en faveur des personnes condamnées pour des crimes internationaux en ce qu’elles sont une violation de l’obligation de sanctionner ces crimes.
Nous attirons aussi l’attention sur le fait que les Chambres ont ordonné à Habré de payer 82 milliards de francs CFA aux 7 396 personnes désignées. A ce jour, il n’a toujours pas versé un seul centime aux victimes. Hissène Habré a caché, et cache toujours, l’argent qu’il a volé au peuple tchadien tandis que les victimes sont réduites à manifester tous les jours dans les rues de N’Djamena pour demander le paiement des indemnisations.
Une grâce violerait non seulement les obligations internationales du Sénégal mais serait également un désaveu moral envers ses milliers de victimes.
Me Jacqueline MOUDEINA, avocate au Barreau de N’Djamena +235 66 27 09 92
Me Assane Dioma NDIAYE, avocat au Barreau de Dakar
Me Georges-Henri BEAUTHIER, avocat au Barreau de Bruxelles
Me William BOURDON, avocat au Barreau de Paris + 33 6 08 45 55 46
Me Soulgan LAMBI, avocat au Barreau de N’Djamena
Me Delphine K. DJIRAIBE, avocate au Barreau de N’Djamena
Me Alain WERNER, avocat au Barreau de Genève
Communiqué du collectif des avocats des victimes de Hissène Habré