Jadis centre commercial aux poissons par excellence, le quai de pêche de Yarakh est comme abandonné à son sort. Les vendeurs de poissons côtoient les saletés rejetées par la mer et autres immondices, sans se plaindre ou s’inquiéter de l’insalubrité de leur environnement. Chacun est plus préoccupé par son pain quotidien. Même si les eaux du Sénégal n’ont plus de poissons, les quelques rares pirogues qui accostent chaque jour, attisent les convoitises des mareyeurs ou autres revendeurs.
Le Sénégal dispose d’un littoral de 718 km de côtes. Ce pays d’Afrique de l’Ouest était réputé parmi les plus poissonneux du continent, mais aujourd’hui les choses ont véritablement changé. Le poisson se fait rare et très cher dans la capitale sénégalaise, Dakar. Pour trouver les meilleurs poissons, comme les dorades, les capitaines ou les thiofs (mérou), il faut débourser beaucoup d’argent. Les clients se plaignent de la rareté des poissons, mais aussi de leur cherté. Âgé d’une trentaine d’années, Cheikh Tidiane Mbaye, trouvé au quai de pêche de Yarakh, dans la capitale sénégalaise, tente de nous expliquer les raisons de cette situation, qui perdure depuis des années et qui n’arrange guère les pêcheurs comme lui.
« Nous les pêcheurs, nous rencontrons d’énormes difficultés, parce que aller pêcher en mer n’est pas une petite affaire. Le métier de pêcheur est trop difficile. Il nous arrive de passer entre 15 et 21 jours en haute mer, pour pouvoir trouver du poisson. C’est difficile, surtout qu’il nous faut débourser plus d’un million FCFA pour le carburant et 500 000 FCFA pour le ravitaillement, pour pouvoir assurer notre séjour en pleine mer. Imaginez maintenant ce que nous endurons pour écouler nos poissons, c’est également la croix et la bannière. A notre retour sur la terre ferme, nous vendons nos poissons aux mareyeurs, qui revendent ensuite à l’État, aux particuliers ou à d’autres sociétés, qui les exportent vers d’autres pays. En fait, seule une petite quantité des poissons pêchés sont vendus dans nos marchés », indique-t-il.
Résident à Thiaroye-Gare, El Hadj Gaye est jeune mareyeur qui travaille également au quai de pêche de Yarakh. Il évoque lui aussi des difficultés rencontrées dans le secteur, depuis des années. « On se débrouille toujours pour pouvoir nourrir nos familles. Nous ne connaissons que ça comme métier, c’est pourquoi nous sommes dans le secteur. Malgré les difficultés, on tente toujours de s’en sortir. Comme les pêcheurs, nous avons souvent du mal à entrer dans nos fonds après avoir placé nos poissons. Rare sont les gros clients qui payent cash et on ne peut pas garder les poissons longtemps, au risque de les voir pourrir, faute de moyens pour les conserver. Nous sommes obligés de les placer à crédit », déplore le jeune El Hadj Gaye, visiblement très fatigué.
Assis devant son étal en train de nettoyer presque une baignoire remplie de dorades, Ousmane Sidibé, la soixantaine révolue, a également évoqué la rareté des clients, notamment, depuis le début de la pandémie de Coronavirus. Mais, il a aussi pointé la cherté et la rareté du poisson au Sénégal. « Les affaires vont de mal en pis, de notre côté. Avant 2020, jusqu’en 2019 je dirai, on pouvait gagner jusqu’à 10 000 FCFA par jour, en nettoyant les poissons achetés par des clients. Mais depuis 2020, les choses ont complètement changé. On a même du mal à se faire des recettes de l’ordre de 5 000 FCFA la journée. Je pense qu’au Sénégal, il n’y a plus de poisons », a-t-il fait savoir.
« Pourquoi, il n’y a plus de poissons au Sénégal ? C’est d’ailleurs la question que tout le monde se pose. Maintenant, les pêcheurs sont obligés d’aller très loin pour pouvoir trouver des poissons. Dans nos eaux au Sénégal, il n’y a n’en plus. Ils vont alors jusqu’en haute mer, en Guinée-Bissau, en Mauritanie, en Guinée et jusqu’en Sierra Leone pour pêcher. L’État devrait voir comment faire pour que le Sénégal, qui était jadis considéré comme l’une des côtes les plus poissonneuses de l’Afrique de l’Ouest, puisse retrouver son lustre d’antan. Même la sardine, nous ne l’avons plus maintenant. Pourtant, l’année dernière, on voyait ses sardines un peu partout. Maintenant, ce n’est plus le cas. Les clients également se font très rares, parce que les poissons deviennent de plus en plus chers », déplore Ousmane Sidibé, qui est originaire de la région de Kédougou, venu à Dakar, pour subvenir aux besoins de sa famille.