En 2014, le Sénégal n’a toujours pas réussi à transformer son agriculture pour atteindre l’autosuffisance alimentaire. Le pays importe toujours la majorité de ses produits. Pourtant, tous les experts sont unanimes sur l’immense potentiel agricole du pays de la Téranga, notamment dans les domaines de la pêche, de l’élevage, de l’agriculture, notamment l’arachide… Conscient que l’agriculture peut être un levier de développement, l’Etat tente de redresser le secteur pour attirer les investisseurs.
A Dakar
Contrairement aux idées reçues, le Sénégal n’a pas que des ressources intellectuelles. Et ses ressources naturelles ne sont pas limitées. Elles sont en réalité immenses, mais n’ont jamais été exploitées. L’état de pauvreté de la Casamance, région pourtant la plus fertile du pays, qui devait être le grenier du Sénégal, reflète l’absence de vision politique pour développer l’agriculture. Alors qu’il a la capacité de nourrir seul sa population, au contraire, le pays importe toujours la majorité de ses denrées alimentaires : riz, huile. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir tenté. L’ancien Premier ministre sénégalais Mamadou Dia, panafricaniste, avait pourtant compris l’enjeu de transformer l’agriculture pour permettre le développement. Mais il n’a jamais réussi à mettre sur pied ce projet. Lorsque le Président Senghor est arrivé au pouvoir après l’indépendance du pays en 1960, développer le secteur agricole n’était pas sa priorité, préférant axer sa politiquer sur l’Education.
Aujourd’hui encore, l’agriculture sénégalaise, principalement familiale, demeure archaïque, fustige l’entrepreneur sénégalais Amadou Diokhané, rentré des Etats-Unis, pour investir dans le secteur, afin de contribuer au développement de son pays natal. Selon lui, les outils et techniques utilisés par les paysans ne permettent pas d’avoir les rendements attendus. Sans compter les difficultés qu’ils ont à conserver leurs produits, qu’ils doivent vendre dans la semaine pour éviter qu’ils ne pourrissent. La conservation des récoltes est un réel problème, il faut leur donner les moyens de faire face à ce défi, clame-t-il.
Pourtant, il y a une « disponibilité de ressources qui peuvent permettre de réaliser les conditions d’un décollage économique d’ici 2035 », estime de son côté, le professeur Abdou Salam Fall, directeur de Lartes. Selon ce dernier, « le Sénégal dispose de ressources minières, notamment de l’or dans la région de Kédougou, du fer, du phosphate à Matam, et des explorations sont en cours sur d’éventuelles ressources en gaz. Sans compter la qualité de notre élevage et des nos ressources forestières. Mais la forêt n’est pas aménagée pour qu’elle soit exploitée rationnellement. On ne tire pas profit de toutes ces ressources ».
La maîtrise de l’eau déterminante
La maîtrise de l’eau est également un autre point déterminant, note-t-il. D’autant que les ressources hydrauliques du pays n’ont été exploitées qu’à hauteur de 5% depuis les années 60. Ce n’est pas l’eau en effet qui manque au Sénégal, où 84% des ressources hydrauliques ne sont pas exploitées. « Nous avons le double du potentiel hydraulique du Maroc, et quatre fois plus que les ressources du Sahel réuni », selon le professeur Fall. De même, sur la région de Matam par exemple, seules 10% des terres sont mises en valeur. Sur les 55 000 hectares de terres aménageables, seulement 10 000 sont aménagées. Or, cette zone au potentiel extraordinaire est couverte par 200 kilomètres d’eau. Dans la vallée du fleuve, à Gandiol, il y a aussi d’importantes ressources avec une grande capacité de production d’oignons de qualité, ainsi que la patate douce. Sans compter une production fruitière et maraichère de haute qualité, vendue parfois en Europe.
Le riz, aliment de base le plus consommé au pays de la Téranga, constitue un véritable enjeu. Alors que le Sénégal a les ressources lui permettant d’en produire, il importe toujours les 4/5ème de ses besoins alimentaires en riz. Une politique qui lui revient au final très coûteuse, ne permettant pas de nourrir convenablement la population, rencontrant des difficultés pour manger à sa faim au quotidien. Face à ce constat alarmant, le ministre de l’Agriculture a promis que l’Etat mettrait tout en œuvre pour que le Sénégal devienne auto-suffisant en riz, aux alentours de 2017. Un des objectifs du Plan Sénégal Emergent (PSE) porté par le Président Macky Sall. Un pari loin d’être gagné, selon l’économiste sénégalais Sanou Mbaye. Pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, l’Etat doit avant tout résoudre le déséquilibre qui règne dans le secteur agricole, explique-t-il. Le Sénégal emploie 60% de la population dans le secteur agricole. Mais la croissance annuelle du secteur n’est que de 1,5% par an, alors que la population sénégalaise augmente de 2,5% par an. Pour l’économiste, il faut également une révolution au niveau des habitudes alimentaires. En clair, éduquer la population à consommer d’autres aliments que le riz, tels que le sorgho, le niébé, le mil. Et l’Etat doit également prendre des mesures concrètes pour encourager la production locale de ses produits, explique Sanou Mbaye.
Un objectif toutefois difficile à atteindre quand on sait que le secteur agricole n’est actif que trois mois dans l’année. S’il l’était toute l’année, il serait bien plus rentable, selon l’économiste, qui déplore également le fait que le secteur de l’arachide ne soit pas suffisamment exploité. Le Sénégal importe toujours de l’huile végétale, alors qu’il a la possibilité de produire 750 à 800 000 tonnes d’arachides, équivalent à 280 000 tonnes d’huile. Ce qui couvrirait totalement les besoins du Sénégal. Même avec 800 000 tonnes, le Sénégal peut influencer le marché mondial, souligne-t-il.
Un avis partagé par le professeur Abdou Salam Fall, qui précise qu’il faut structurer la commercialisation des produits et conquérir le marché régional par exemple. La part de la production par le Sénégal vendue à l’extérieur est en effet toujours relativement faible. Cela s’explique par le fait que les politiques publiques au Sénégal n’ont jamais été orientées vers les sociétés qui se trouvent à l’intérieur du pays. Depuis l’époque coloniale, il y a une volonté de tout importer. « C’est le moment de nous orienter vers notre propre économie en faisant nos propres choix », préconise-t-il. Pour redynamiser le secteur agricole, « il faut une approche révolutionnaire, permettant de mettre fin aux déséquilibres structurelles. Il faut tout renverser », martèle Sanou Mbaye. D’après lui, c’est l’Etat qui doit avant tout servir de locomotive, précisant que s’il y a des investissements étrangers, ils doivent être bien pensés pour être productifs.
Désordre dans le secteur de la pêche
Le secteur de la pêche, élément clé de l’agriculture sénégalaise, représente aussi un autre défi pour l’Etat. En janvier dernier, l’affaire des bateaux russes, qui pêchaient plusieurs tonnes de sardinelles sans autorisation sur les côtes sénégalaises, témoigne du désordre qui règne dans ce secteur. D’après une étude de l’USAID, la coopération américaine, le Sénégal perd chaque année 150 milliards de FCFA, soit 228,7 millions d’euros, à cause de ces bateaux qui pêchent illégalement. Selon le ministre de la pêche Ali Haidar, il y a une cinquantaine de navires pareils qui sont au large des côtes sénégalaises, qui y rentrent frauduleusement, pour piller les ressources marines. Un constat alarmant qui conduit Makhtar Thiam, président de l’APEMES, à affirmer que le secteur de la pêche est « malade » et « manque surtout de vision ». Il pointe du doigt une politique de l’Etat sénégalais « toujours pas très claire » sur la question. « Le Sénégal est un grand producteur de poisson depuis des millénaires, mais le secteur de la pêche souffre de la rareté du produit, de l’obsolescence des bateaux de pêche qui ne produisent pas les rendements escomptés, d’un manque de financement et également de la non-maîtrise de la pêche artisanale, qui vise à la production massive et non au processus de repeuplement des espèces », déplore-t-il. Il y a également une véritable chute de la production. La preuve, auparavant, l’Union Européenne importait du poisson au Sénégal, mais ce n’est plus le cas. Désormais, le marché africain consomme 40% des importations, et le marché asiatique 20%. Le secteur doit être assaini pour attirer de nouveaux investisseurs, selon le directeur de l’APEMES.
Pour tenter de réguler le secteur de la pêche, l’Etat a créé, en 2011, l’Agence nationale de l’Aquaculture (ANA). Elle vise la création de 16 000 emplois, et a pour but de permettre le repeuplement des espèces en disparition. Des pays partenaires comme la Thaïlande, la Corée, ou encore le Brésil mettent leur expertise au service de projet, selon son directeur, Mamadou Sène, qui annonce que des fermes pilotes sont en train d’être créées pour permettre à tout industriel d’investir. L’ANA produit plusieurs espèces marines telles que les poissons d’eau douce, le tilapia, les huitres, le poisson-chat, les crevettes… Et cette production croît chaque année. En 2012, 304 000 tonnes avaient été produites, en 2013, 704 000 tonnes. L’ANA vise une production de 16 000 tonnes dans l’année en cours. Mamadou Sène est convaincu que si l’Etat met les moyens nécessaires et que le secteur privé investit dans ce projet, la production devrait être doublée. Pour le moment, 650 emplois ont été créés. Les employés sont essentiellement des paysans encadrés par l’agence. Chacun tente de produire 1 tonne. Mais Mamadou Sène note que le pays a besoin d’un privé pour produire jusqu’à 3 000 tonnes par an. Un appel d’offre a été lancé par l’Etat sénégalais, conscient que le secteur agricole sera la clé de son émergence. Il espère désormais vendre tous ces projets au plus offrant.