Dans un an pratiquement jour pour jour, les Sénégalais iront aux urnes pour élire un nouveau président de la République. Nombreux sur la ligne de départ, les prétendants au fauteuil présidentiel jouent déjà des coudes. Les grandes manœuvres ont démarré, certains candidats affichent leurs ambitions au grand jour alors que d’autres avancent encore leurs pions dans l’ombre. Le scrutin, qui promet d’être très ouvert, passionne déjà la population.
De notre correspondant
À un an des élections présidentielles, prévues le 26 février 2012, le Sénégal baigne dans une atmosphère de fin de règne. Éprouvés par la cherté de la vie et par les coupures de courant à répétition, les Sénégalais ont hâte d’en découdre dans les urnes. Et dans l’arène politique, les appétits s’aiguisent… Depuis plusieurs mois, le débat sur la recevabilité de la candidature d’Abdoulaye Wade fait rage. Élu en 2000 puis réélu en 2007, après avoir promulgué une nouvelle constitution qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels, le « pape du Sopi » (« changement » en wolof, son slogan de campagne depuis 2000) souhaite rempiler pour un troisième mandat. L’opposition crie au « viol de la Constitution » alors que, dans le camp du pouvoir, on explique à qui veut bien l’entendre que le décompte doit se faire à partir de 2007. De son côté, la presse a sorti de ses archives des propos du chef de l’Etat datant de 2007. « Je ne peux pas me présenter en 2012 parce que la Constitution me l’interdit », tranchait-il à l’époque. « Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis », rétorque aujourd’hui l’intéressé, interpellé sur sa volte-face.
Pour le directeur de publication de l’hebdomadaire Nouvel Horizon, il ne fait aucun doute : le président sortant ne sera pas candidat. « Est-ce que l’on peut imaginer raisonnablement donner le pouvoir pour sept ans à un homme de 86 ans ? interroge Abdoulaye Bamba Diallo. La candidature de Wade est une fausse candidature. » Une manoeuvre politicienne pour gagner du temps. D’après cet observateur de la vie politique, si Abdoulaye Wade s’est porté candidat, c’est pour « éviter la débandade » au sein de son parti, le Parti démocratique sénégalais (PDS) au lendemain d’une cuisante défaite lors des municipales de mars 2009. Censées lancer sur orbite Karim Wade, candidat à la mairie de Dakar et appelé à succéder à son père, ces élections ont montré l’impopularité du fils du président, battu dans son propre quartier au Point E. Six mois plus tard, et trois ans avant la présidentielle, Abdoulaye Wade annonce à la surprise générale son intention de briguer un nouveau mandat dans une interview accordée à la Voix de l’Amérique. « Je serai candidat en 2012 inch’Allah ! Si Dieu me laisse longue vie, me laisse mon cerveau et ma santé, je serai candidat ! ». Entre temps, son fils, sorti par la porte des urnes, est revenu par la fenêtre, nommé ministre d’Etat dans le gouvernement de Souleymane Ndéné Ndiaye.
Une guerre des chefs au PDS ?
Au sein du PDS, l’ascension fulgurante de Karim Wade ne fait guère l’unanimité. De plus en plus divisé suite aux départs des deux anciens Premiers ministres Idrissa Seck puis Macky Sall, le parti commence à tanguer et certains barons quittent le navire. Dernier en date, Cheikh Tidiane Gadio, ministre des Affaires étrangères pendant presque dix ans, fonde son mouvement citoyen pour combattre le « projet de dévolution monarchique du pouvoir » des Wade.
« Abdoulaye Wade ne peut pas être candidat, observe Abdoulaye Bamba Diallo, mais pour maintenir l’unité dans son parti, il le fait croire. » Dans le cas où « Gorgui » (« le vieux » en wolof) ne se représenterait donc pas, qui pourrait bien porter les couleurs jaunes et bleues du PDS pour la présidentielle ? « Idrissa Seck a de l’argent. Karim a de l’argent. Qui paye commande, résume l’analyste. Ce sera soit Idy, soit Karim. S’ils sont intelligents, ils font un ticket. La loi a été votée, il y a maintenant une vice-présidence. » Le « fils spirituel » et le « fils biologique » accepteront-ils de lier leurs destins ? Les deux hommes se vouent une haine tenace. Toutefois, la politique sénégalaise a déjà connu des revirements surprenants. Idrissa Seck en est d’ailleurs coutumier.
Tribun hors pair, sûr de lui voire arrogant pour ses détracteurs, « Idy » aime se présenter comme « le 4e président » du Sénégal. Incarcéré pendant 199 jours à Reubeuss, entré en dissidence avec son parti « Rewmi », l’ancien dauphin s’était rendu à la surprise générale au palais présidentiel pour s’entretenir pendant quatre heures avec Abdoulaye Wade à la veille de la présidentielle de 2007. Le président avait alors déclaré qu’Idrissa Seck avait « accepté de réintégrer le PDS ». L’intéressé n’avait ni démenti ni confirmé semant ainsi le trouble parmi ses sympathisants. Son mentor gagnera l’élection dès le premier tour et lui finira deuxième avec environ 15% des voix. Aujourd’hui convaincu qu’il a besoin de l’appareil du parti libéral pour l’emporter, Idrissa Seck a décidé de rentré au bercail et de livrer bataille à l’intérieur du parti pour être le candidat du PDS. Le 4 novembre dernier, il signe une lettre dans laquelle il invite Wade à retirer sa candidature « anticonstitutionnelle donc irrecevable ». Saura-t-il convaincre son mentor ? Abdoulaye Wade ira-t-il jusqu’au bout ? Son fils Karim osera-t-il se présenter devant les Sénégalais malgré son aventure malheureuse de 2009 et le vent de révolte qui souffle dans le monde arabe ? Malgré les apparences, rien n’est encore fait au PDS.
Vers une candidature unique de l’opposition ?
Du côté de la coalition « Benoo Siggil Senegaal » (« Pour un Sénégal debout » en wolof), les ténors de l’opposition débattent de l’éventualité d’une candidature unique. Revigorée par la tenue des Assises nationales et par son succès lors des élections locales et municipales, l’opposition croit en ses chances, mais a du mal à s’entendre sur un candidat. Si le socialiste Ousmane Tanor Dieng, candidat malheureux en 2007, et Moustapha Niasse, premier chef de gouvernement de l’alternance en 2000 et secrétaire général de l’Alliance des forces du progrès (AFP) se disent favorables à une candidature unique de l’opposition, les spécialistes constatent que l’on se dirige vers des candidatures plurielles. D’ailleurs, on voit difficilement l’un se retirer au profit de l’autre. Niasse avait claqué la porte du parti socialiste en 1999 en grande partie à cause de ses relations tendues avec Tanor.
Transfuge du PDS, l’ancien Premier ministre Macky Sall a d’ores et déjà annoncé qu’il ira aux élections sous sa propre bannière. Viré du perchoir et banni du PDS pour avoir convoqué Karim wade à l’Assemblée nationale afin qu’il s’explique sur la gestion des fonds de l’Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique (Anoci), le maire de Fatick et président de l’Alliance pour la république (APR) semble confiant et veut se mesurer sur la scène politique sénégalaise. S’il jure avoir définitivement coupé les ponts avec la famille libérale, certains membres du PDS ne perdent pas espoir de le récupérer et, dit-on, des émissaires travaillent en coulisses pour le réconcilier avec Abdoulaye Wade.
À côté des dirigeants politiques, d’autres noms ont également été évoqués ces derniers mois dans la presse locale. Ainsi Jacques Diouf, l’actuel directeur général de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ou Lamine Diack, président de la fédération internationale d’athlétisme, pourraient se lancer dans la bataille.
Pour l’instant, aucun ne sort vraiment du lot aux yeux des Sénégalais. Dans un pays où plus de la moitié de la population a moins de 20 ans, de nombreux citoyens aspirent à voir débarquer une nouvelle personnalité dans l’arène politique. « Il y aura forcément une candidature nouvelle et agréable, prédit le directeur de Nouvel Horizon. Quelqu’un venant du monde des affaires, de l’administration ou de la société civile. » Tanor, Niasse et consorts pourraient alors endosser le costume de faiseurs de roi et prendre leur revanche sur Abdoulaye Wade. À un an des élections, les jeux sont ouverts.