Le sanglot de l’homme blanc pourfend le tiers-mondisme occidental


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LE SANGLOT DE L'HOMME BLANC

L’essai de Pascal Bruckner,  » Le sanglot de l’homme blanc « , est une charge sans complaisance contre les errements des pensées tiers-mondistes. A lire, même si la proposition ultime résonne comme un appel au coeur un peu commode. Un pamphlet passionnant. Une voie de salut décevante.

L’intellectuel français Pascal Bruckner aurait pu nommer son oeuvre  » Critique constructive du tiers-mondisme « . Il a préféré l’intituler  » Le sanglot de l’homme blanc « . Car ce syndrome de la culpabilité et de la haine de soi est tout simplement le point de départ des errements de la pensée tiers-mondiste. Celle-là même qui vit dans la guerre de libération algérienne, une lutte universelle de l’oppressé contre l’oppresseur. Celle-là même qui a poussé l’étudiant soixante-huitard à s’afficher sans fard sur le Boulevard Saint-Michel avec le béret de Che Guevara. Celle-là même, qui dans une seule et même contraction absurde de la pensée, a amené les tiers-mondistes à admirer, hier, les luttes d’émancipation des peuples du Sud, et à les mépriser aujourd’hui, pour cause d’illusions perdues.

Certes, Bruckner ne se prive pas de charger quarante ans de tiers-mondisme – à propos de Sartre :  » Masochisme : c’est le fameux  » L’Europe est foutue « , la préface aux  » Damnés de la Terre  » de Frantz Fanon, dont on ne dira jamais assez qu’elle reste un trésor de nullité théorique, de contresens historique et de démagogie haineuse « . Mais il veut aller au-delà. Au-delà de l' » énième vision doloriste « . Au-delà  » des larmes suspectes « . Au-delà  » des apitoiements dédaigneux « . Il tente, au contraire,  » une approche positive du Sud. Entre la suffisance et le masochisme, j’ai voulu tracer la voie d’un  » européo-centrisme paradoxal  » qui porte les Occidentaux vers le dehors sans les contraindre à se renier « , écrit Pascal Bruckner dans sa préface.

Non-sens

Précaution loin d’être inutile, tant le mépris des nuances et les pensées bornées par la compassion et la haine de soi peuvent déboucher sur les pires non-sens. Ainsi Mao, Boumediene, la révolution islamiste Iranienne, l’invasion soviétique en Afghanistan (le droit à l’autodétermination faisant place à l’universalisme socialiste contre le fait féodal), ou les Khmers rouges, ont-ils trouvé de fervents partisans au sein des intelligentsias occidentales. Les victimes de ces régimes sanglants ? Au mieux ignorés. Au pire détestés. Méprisés, toujours.  » Tel le dandy Raymond Roussel qui fit le tour du monde sans jamais sortir de chez lui, le tiers-mondisme collectionnait les émeutes, révoltes et révolutions, s’interdisant pour prix de cette ivresse numérique, toute expérience de l’infini « .

Le désaveu de Bruckner est certes long, âpre, et pas exempt d’arrières pensées, comme si le  » tiers-mondisme  » n’était que le fruit d’une contre-culture occidentale. Il s’en acquittera commodément par un appel à la générosité que nous qualifierons – sans doute avec un aplomb d’une naïveté confondante – de vraie, car il n’est point de largesse louable qui ne s’adresse à l’autre, pour l’autre exclusivement. Une voie contenue dans cette citation de Paul Nizan :  » Il n’y a qu’une espèce valide de voyages qui est la marche vers les hommes « . Alors partons  » vers l’est, le sud, le nord (…). Tout nous incite à la défiance ? C’est donc qu’il faut avoir foi en l’Autre « . La critique est séduisante, troublante même, mais l’art reste trop bien tenté, trop esquissé : le message ultime de Bruckner n’a pas la finesse de sa dénonciation. Ni sa force. Hélas.

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