Les criquets pélerins qui sévissent dans le sud du Maghreb, depuis le printemps dernier, se sont déplacés vers la zone sahélienne avec une précocité qui inquiète les autorités locales. Ces pays sont en pleine période de semence, et les insectes, qui ont profité de l’exceptionnelle humidité pour se reproduire, pourraient compromettre la campagne agricole. Si rien n’est fait rapidement, c’est la famine qui guette les habitants de toute la sous-région.
Jamais l’Afrique sub-saharienne n’avait été aussi inquiétée par les criquets pélerins depuis la terrible invasion de 1987-1989. Le Président sénégalais Abdoulaye Wade a adressé le 12 juillet dernier une lettre aux membres du G8, dans laquelle il leur demande de « déclarer la guerre aux criquets pélerins ». L’Organisation commune de lutte antiacridienne et antiaviaire (Oclalav) le rejoignait même dans son analyse selon laquelle l’invasion des insectes serait synonyme de « mort programmée de centaines de millions d’habitants » de la sous-région. « Aucun pays laissé à lui-même n’est susceptible de mettre en place un système de protection efficace contre ces ravageurs migrateurs », insistait l’organisme de l’Onu. D’où son appel à la communauté internationale pour aider les pays du Sahel « en moyens matériels et financiers ».
En avance et plus nombreux
Les criquets s’étaient signalés depuis le printemps dernier en Afrique du Nord, au sud du Maroc, de la Mauritanie, de l’Algérie et jusqu’en Libye. Mais ils avaient été relativement bien maîtrisés par les pays concernés. Près de 4 millions d’hectares avaient ainsi pu être traités. Le problème est que les essaims de criquets se sont déplacés vers la zone sahélienne avec une précocité qui étonne et inquiète. Le Mali, le Niger et depuis deux semaines le Sénégal sont à leur tour touchés. « Je n’ai jamais vu d’essaims à cette période », assure ainsi le chef de la division Avertissements agricoles et défense des cultures, Ousseynou Diop, qui dépend du ministère sénégalais de l’Agriculture. « Avant, ils venaient après les récoltes, vers le mois de novembre », poursuit-il auprès de l’AFP.
Les agriculteurs de la zone sahélienne, qui viennent tout juste de planter leurs semences, s’inquiètent logiquement de voir les insectes ruiner leur campagne agricole. Ces derniers, qui se déplacent par essaims d’une quinzaine de km2, sont capables de consommer prêt de 300 tonnes de végétaux par jours. Les premiers criquets détectés ont été traités, mais ils ont d’ores et déjà pu se reproduire. Or, « il a beaucoup plu dans le Sahel, cette année. Près de 100mm de pluies sont tombés en un mois voire en une semaine, par endroits, où il ne tombait en général pas plus de 10 mm par an », explique Erwin Northoff, porte-parole de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). « Il y a donc beaucoup de verdure, ce qui favorise la ponte des criquets ».
Des pays mal armés
La menace acridienne se profile donc beaucoup plus tôt et de façon plus massive que les années précédentes, dans des pays qui connaissent bien le danger, mais ne sont pas forcément armés pour y faire face. Le Mali dispose bien d’une Unité nationale de lutte contre le criquet pèlerin. Mais l’organe ne dispose que de quatre véhicules pick-up et d’un camion pour vaporiser le précieux pesticide. Il lui en faudrait une vingtaine pour faire face à l’invasion annoncée, selon le quotidien L’Essor. De la même façon, dans l’hypothèse minimale où 100 000 d’hectares viendraient à être infestés, il faudrait 100 000 litres de pesticide au Mali – à raison d’un litre par hectare – pour venir à bout des essaims de criquets. Le Mali ne dispose aujourd’hui que de 5 000 litres, et prévoit d’en acheter 2 à 3 000, toujours selon le quotidien national.
Lors d’une première rencontre, à l’adresse des bailleurs de fonds internationaux, la Mauritanie avait estimé ses besoins à 6 millions de dollars, le Mali et le Niger à 3 millions chacun. « Mais les besoins ont augmenté. Le Sénégal, par exemple, n’était pas présent à la réunion où ces pays ont fait part de leurs besoins. Car il n’était pas encore touché », explique Erwin Northoff. Les pays d’Afrique du Nord disposent parfois de plus de moyens, notamment d’appareils de traitement aérien, que le Mali devra pour sa part louer. Ils se sont pourtant joints aux pays sahéliens pour réclamer l’aide de la communauté internationale. Car ils savent que les essaims de criquets pèlerins risquent de reprendre la route du Nord, à l’hiver prochain, aussi nombreux qu’ils sont descendus. Pour comparaison, l’invasion de 1987-1989 avait coûté 300 millions de dollars à la communauté internationale.