Le nouveau rapport du Secrétaire général des Nations unies sur la question du Sahara occidental est arrivé ! Après les échecs successifs du Plan de règlement de 1991, du projet d’Accord-cadre de 2001 et de l’option de partition du territoire en 2002, Kofi Annan a soumis une énième issue de sortie de crise aux parties en conflit. Décryptage.
Anguilla, Bermudes, Gibraltar, Guam, Îles Caïmans, Îles Turques et Caïques, Îles Falkland (Malouines), Îles Vierges américaines, Îles Vierges Britanniques, Montserrat, Nouvelle-Calédonie, Pitcaïrn, Sainte-Hélène, Samoa américaines, Tokélaou et Sahara occidental. Tous ces noms sont aujourd’hui des anachronismes, des inclassables relégués dans un chapitre inachevé de l’Histoire, estampillés pour la circonstance « Territoires non autonomes ». Catégorie retenue par les Nations unies pour discerner ces territoires dont le sort futur dépend étroitement des intérêts des puissances administrantes, des mouvements indépendantistes et des États limitrophes.
Rares sont les territoires du continent africain qui n’ont pas vus au 19e siècle, leur sol foulé par des bottes étrangères ou leur société déstructurée par les administrateurs impériaux ; en revanche, unique, voire atypique, est la situation du Sahara occidental, seul territoire continental encore inscrit en 2003 à l’ordre du jour du Comité de décolonisation de l’ONU.
Un long contentieux
C’est en échappant au vaste mouvement de décolonisation que le Sahara occidental est devenu aujourd’hui une bizarrerie historique. Le Sahara occidental, c’est avant tout le récit d’un accouchement douloureux issu d’un mauvais mariage entre l’Espagne et la France. Ce sont en effet ces deux Empires qui vont s’accorder lors de la Conférence de Berlin en 1884 pour se répartir les zones d’influences dans la région. Trente longues années seront nécessaires pour cartographier officiellement le Sahara espagnol et pacifier en totalité la zone. En même temps que leurs indépendances successives, le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie puis le Front Polisario affichent leurs prétentions sahariennes respectives.
Les dernières évolutions du dossier ont pu faire croire à une solution à moyen terme. À tort. L’histoire du contentieux enseigne la prudence. Il ne faut pas se méprendre, ce que l’ONU présente aujourd’hui comme l’alternative de la dernière chance contenue dans le Plan de paix pour l’autodétermination du peuple du Sahara occidental demeure tout aussi peu applicable que les précédentes. Ce projet contenu dans le rapport du Secrétaire général du 23 mai 2003 reste en effet suspendu à l’obtention des signatures des parties en conflit (les Nations Unies, le Royaume du Maroc, le Front Polisario, la République d’Algérie et la République islamique de Mauritanie). Pur fantasme. Les Accords de Houston en 1991, le projet d’Accord-cadre – la fameuse Troisième voie – en 2001, le projet de partition du territoire en 2002 et le Plan de paix aujourd’hui sont autant de dispositifs qui souffrent du même mal : le Maroc et le Front Polisario les refuseront systématiquement, et ce malgré le forcing onusien. Dans leur logique jusqu’au-boutiste commune, l’un et l’autre ont aujourd’hui plus à perdre qu’à gagner.
Constituer un électorat
Mise sous l’éteignoir depuis de longs mois avec l’option de la Troisième voie, l’autodétermination semble recouvrir un peu de légitimité. Dans le Plan de paix pour l’autodétermination du peuple du Sahara occidental présenté au Conseil de sécurité, un référendum devra être organisé dans les quatre à cinq années qui suivront l’improbable signature du document par les parties. Les Nations Unies ont retenu plusieurs modalités de participation au scrutin : avoir 18 ans minimum pour voter ; être résidant au Sahara depuis 1999 ; être qualifié par la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum dans le Sahara occidental (MINURSO) dans sa liste provisoire de 1999 ou sur celle dressée par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en 2000. Pour ceux qui ne figurent pas sur ces listes, pas de panique, les possibilités sont doubles : le statut de résidant permanent pourra aussi être prouvé conjointement par trois personnes désignées comme crédibles ou par un document justifiant leur prise en compte dans le recensement. Au final, tout ce beau monde constituera ce que Kofi Annan désigne à plusieurs reprises dans son rapport avec une maladresse rare, « les habitants authentiques du Sahara occidental ».
On se retrouve projeté au milieu des années 90 lorsqu’il s’agissait pour l’ONU de discerner avec précision qui devait participer ou non au référendum d’autodétermination. À l’époque, plusieurs conditions avaient été envisagées pour que le requérant puisse être reconnu comme électeur potentiel par la Commission d’identification*. Soit en présentant directement des documents délivrés par l’ancienne administration espagnole du territoire, soit en tenant compte du témoignage oral des chefs de tribus, les chioukhs. Phénoménale erreur qui consistait à accorder aux deux belligérants – le Maroc et le Front Polisario -, la responsabilité d’identifier les électeurs potentiels en lieu et place de l’ONU. Ces soi-disant déclarations de foi des chioukhs se sont conformées en réalité à la position politique de leur partie respective.
Co-administration temporaire
En 1993, sous le mandat de Boutros Boutros-Ghali, l’ONU avait admis s’être fourvoyée dans son interprétation de la question saharienne puisqu’aucune des résolutions majeures** concernant le problème ne donnait de définition précise de ce qu’est un « peuple » du point de vue du droit en question, alors que c’est sur une définition rigoureuse et suffisamment explicite qu’est censé reposer en totalité le règlement du conflit du Sahara occidental. Les deux belligérants opposent leur propre définition du Sahraoui. Le gouvernement marocain a tendance à proposer une vision globale permettant à un plus grand nombre de Sahraouis de participer au scrutin, tandis que le Front Polisario est d’avis contraire et propose une vision restrictive. Entre ces deux options, plus d’une centaine de milliers de voix sont en jeu. Celles qui, précisément, feront la différence lors du vote.
Le Plan de paix prévoit un laps de temps compris entre quatre et cinq ans entre sa ratification et l’application du référendum. Période durant laquelle le territoire sera soumis à une responsabilité conjointe entre le Royaume du Maroc et la future Autorité gouvernementale du Sahara occidental (ASO). Cette autorité exécutive sera exercée par un chef élu par « les habitants authentiques du Sahara occidental », l’autorité législative par une Assemblée élue et l’autorité judiciaire sera organisée par une Cour suprême et des tribunaux dont les membres seront nommés par le Chef de l’exécutif avec le consentement de l’assemblée. L’administration locale, le budget territorial, les impôts, le développement économique, la sécurité intérieure, la protection sociale, seront entre autres les prérogatives de l’ASO.
De son côté, le Maroc conservera pendant cette période transitoire tous les attributs d’une souveraineté effective : les relations extérieures, la sécurité nationale, la défense extérieure, la défense de l’intégrité du territoire contre toute tentative sécessionniste, les questions relatives à la production, la vente, la possession et l’emploi d’armes et d’explosifs, le drapeau, les monnaies, les douanes, la Poste et les systèmes de télécommunications ainsi que le maintien dans une position défensive des Forces Armées Royales marocaines pour la défense extérieure du territoire.
Rendez-vous au prochain rapport
Ce Plan de paix n’est finalement rien d’autre qu’un aménagement, au mieux une combinaison du projet d’Accord-cadre de 2001 qui a les faveurs du Maroc et du Plan de règlement de 1991 qui a celles du Front Polisario. L’ONU se leurre une nouvelle fois, les dispositifs coercitifs n’auront pas plus d’incidences que n’en a eu la guerre ou la vaine application du principe d’autodétermination par la voie référendaire. Aujourd’hui, la solution absolue n’existe pas puisqu’elle ne satisfera au mieux qu’un seul des protagonistes, voire aucun. Seules les négociations entre les parties en conflit pourront à terme déboucher sur une issue concertée. Le contentieux a donc encore de longues et belles années devant lui.
* À ce jour, la Commission d’identification a archivé 244.643 dossiers de personnes qui ont demandé à être inscrites sur la liste des électeurs pour le référendum d’autodétermination.
** Résolution 1514 du 14 décembre 1960, résolution 40/50 du 2 décembre 1985 de l’Assemblée générale des Nations unies, et résolution 104 adoptée par l’OUA en 1983
Laurent Pointier , doctorant à l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS)
« La controverse saharienne », aux Editions Karthala