Le réalisateur Denis Gheerbrant a fait le voyage au Rwanda, dix ans après le génocide. Sur les pas des rescapés, il s’interroge : Comment revient-on à la vie après un tel drame ? Son film, tourné à l’état brut, donne des ébauches de réponses. Un travail intense et nécessaire.
Le Rwanda, dix ans Après. Le documentariste Denis Gheerbrant est parti en avril 2004 à la découverte d’un pays qu’il ne connaissait que par les livres et par la terrible plaie du génocide de 1994. Parti à la rencontre de « l’inconcevable », il se dit immédiatement « aspiré par un voyage au sein de sa propre nuit ». Dans le pays des sources du Nil, au cœur d’une Afrique noire qu’il n’avait encore jamais foulée, il aurait voulu y regarder les paysages comme « les plus beaux du monde ». Mais l’Histoire est là et elle ne pardonne rien. L’ombre du génocide plane à chaque carrefour, obscurcit chaque colline.
Denis Gheerbrant est allé au Rwanda « pour comprendre ce que c’est que de revenir à la vie ». Il dit : « Pour tous ceux que je rencontrais, cette question en contenait une autre : comment cela a-t-il pu nous arriver ? Aucune réponse ne viendra épuiser cette question. Peut-être est-ce d’abord cela vivre après ? Vivre avec une question inépuisable. » Le cinéaste est parti seul, caméra rivée au poing et à l’œil. Il est ainsi au plus près des Rwandais, en majorité des rescapés, qu’il filme. « C’est une manière d’être disponible, protégé peut-être par ma fragilité même, dans un rapport toujours à définir avec ceux que je filme. » Il a également choisi de ne pas utiliser de sous-titres, laissant à son guide, Déo, responsable d’un orphelinat, le soin de traduire.
Solution finale
Les chemins parcourus par le réalisateur à l’intérieur du pays sont en fait les chemins de l’Histoire. Peu à peu, se dessine le Rwanda tel qu’il était avant et pendant la colonisation, les vieux racontent comment les Belges ont instrumentalisé les deux ethnies, hutue et tutsie, divisant pour mieux régner. Apparaît alors la mécanique du piège ethnique qui s’est refermé sur le petit pays. « De 1959 à 1994, les premiers massacres ethniques ont eu lieu, dans l’indifférence générale, accompagnant la mise en place de l’indépendance, jusqu’à la solution finale… » explique le cinéaste.
Ce dernier prend son temps. Il apprivoise ses hôtes, laisse la caméra tourner lors de séances de danses collectives qui ressemblent à des thérapies de groupes. Les plans sont longs. De l’orphelinat de Déo, à Kigali, à la prison de Rilima et au tribunal populaire gacaca, se dessinent des portraits d’hommes et de femmes brisés mais dignes. Même en plein désespoir, c’est le sourire et le rire qui affluent. Ainsi, Déo qui dit : « Les gens préfèrent la mort à cette vie aujourd’hui » et dans le même temps chantonne qu’il « vaut mieux en rire quand on ne peut pas faire autrement »… A propos de son film, l’auteur explique : « J’essaye de faire aimer un peuple, comme je l’ai aimé, c’est-à-dire à la fois nu, sans des tonnes de fausses certitudes et de bons sentiments, tranquille et perpétuellement dans le trouble ! Je ne peux proposer autre chose au spectateur que l’expérience de ces sensations, le cheminement d’une question, un point de regard ».
Après, un voyage dans le Rwanda, réalisé, tourné et monté par Denis Gheerbrant, France, 2004, 1h45, sortie française le 26 janvier 2005.