La France ne modifiera pas ses programmes scolaires pour inculquer l’œuvre « positive » de son empire colonial à ses enfants. Pour la première fois, le ministre de l’Education, Gilles de Robien, a rassuré les enseignants, hors d’eux depuis le vote en février dernier d’une loi reconnaissant le rôle positif de la présence française outre-mer.
L’œuvre de la France outre-mer reste « positive » dans le texte. Mais le ministre de l’Education, Gilles de Robien, s’est prononcé pour la première fois, dimanche, sur la loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». Et il rassure. « L’article 4 de la loi n’implique aucune modification des programmes actuels d’histoire, qui permettent d’aborder le thème de la présence française outre-mer dans tous ses aspects et tous ses éclairages », a-t-il indiqué dans une interview accordée au Journal du Dimanche. Ajoutant qu’il n’est pas question pour l’Etat d’imposer « l’enseignement d’une histoire officielle ». Le fameux article 4 porte que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ».
Son adoption, au début de l’année, avait provoqué un véritable tollé chez les enseignants, qui défendaient l’idée, comme Lucette Valensi, directrice d’études à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), qu’« il n’y a pas d’histoire officielle à imposer aux historiens et aux enseignants ». Aujourd’hui, « le ministre de l’Education annonce une bonne nouvelle. Mais si les programmes ne changent pas, pourquoi n’annonce-t-il pas l’abrogation de cette loi qui n’a pas de raison d’être ? », demande Claude Liauzu, professeur émérite à l’Université de Paris VII, à l’origine d’un collectif d’historiens opposés au texte.
« L’épopée ultramarine française »
Le 15 mars 2003, une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale ambitionnait déjà de reconnaître « l’œuvre positive » de la France en Algérie. Pour une question de procédure, le texte n’était pas passé. Mais il a ressurgi le 24 février au sein d’une loi qui vise à octroyer un statut, ainsi qu’une allocation de reconnaissance, aux « Français rapatriés » et aux harkis. « Ce texte a été proposé par un petit groupe d’une droite extrême, très liée aux pieds noirs et à l’OAS (Organisation de l’armée secrète), explique Claude Liauzu. Nous avons cherché à savoir comment il a pu être voté et la réponse est incroyable mais vrai : il est passé inaperçu. Les députés n’ont pas fait leur travail. Ils étaient trop occupés à évoquer le sort de la Turquie dans l’Europe… »
Ces députés du Sud de la France, ce sont par exemple Michel Diefenbacher, député du Lot et Garonne, ou Christian Kert, député des Bouches du Rhône. Les rapports qu’ils ont rendus font frémir par leurs approximations historiques, leur parti-pris et leur non prise en compte de l’autre, « l’indigène ». « La France avait demandé à ses fils les plus intrépides d’assurer son rayonnement par delà les mers : avec courage, avec enthousiasme, avec ténacité, ils l’ont fait. Les terres ont été mises en valeur, les maladies ont été combattues, une véritable politique de développement a été promue… », lit-on dans le premier rapport, comme dans un roman d’aventure. Quant au second, il évoque « l’épopée ultramarine française ».
« La loi est odieuse envers les pays du tiers monde et ridicule lorsque l’on voit qu’il n’y a pas un ministre, un homme politique pour la défendre. Hormis le ministre délégué aux Anciens combattants, Hamlaoui Mekachera, qui nous insulte par voie de presse, s’indigne Claude Liauzu. Même le Président de la République a admis en privé que c’était ‘une immense connerie’. Ma crainte est que cela cultive le communautarisme, la colère des jeunes générations, alors qu’il s’agit ici de se réconcilier. Je rêve du moment où l’on sortira un manuel franco-algérien, comme il existe des manuels franco-allemands. »
L’historique de la loi avec les précédents rapports, sur le site de l’Assemblée nationale