A quelques semaines des JO de Pékin, France 3 diffuse un documentaire sur l’histoire de Clavel Kayitare, jeune athlète paralympique déjà médaillé à Athènes, rescapé du génocide rwandais. Le réalisateur du film n’est autre qu’Antoine Léonard-Maestrati, son père adoptif. Ensemble, ils sont retournés au Rwanda pour d’improbables retrouvailles avec la famille de Clavel. « Clavel, l’enfant n°13 », raconte ce retour aux pays et revient sur le douloureux passé de l’athlète de 22 ans. Antoine Léonard-Maestrati a accepté de partager avec afrik.com les coulisses de ce tournage.
En 1994, Clavel Kayitare arrive en France. A huit ans, gravement blessé à la jambe droite, rescapé du génocide rwandais, il est recueilli par Antoine Léonard-Maestrati et sa femme, Nadine. Ils entament ensemble, une longue période de reconstruction physique et psychologique. Aujourd’hui âgé de 22 ans, Clavel est devenu un athlète de haut niveau. Il s’apprête à participer aux JO de Pékin. Avec son père, réalisateur, ils sont retournés au Rwanda en 2007 pour reconstituer ensemble l’histoire de Clavel.
Afrik.com : Comment prend-on la décision de faire un film qui concerne son propre enfant ?
Antoine Léonard-Maestrati : Je suis réalisateur et mon entourage, des amis, des producteurs, me demandaient depuis des années de faire un film sur Clavel. Mais j’avais peur de lui voler son histoire. Clavel était au courant de ces demandes, on en parlait ensemble. Je pense qu’il avait peur. Le choc lui a fait perdre sa langue maternelle. Mais ne plus parler le tutsi a probablement été une façon pour lui d’être sûr qu’on ne l’obligerait pas à repartir dans son pays. Devoir y retourner, y être obligé, a longtemps été une hantise pour Clavel. Et puis, un jour, en 2007, il m’a dit : « bon alors, on le fait quand ce film ? »
Afrik.com : Qu’est-ce qui, selon vous, à poussé Clavel à faire cette demande ?
A.L.M. : Je pense que ce film lui a servi de prétexte pour retourner au Rwanda. Il partait faire le film, si les retrouvailles avec sa famille, avec son pays avaient été un échec pour lui, il n’aurait pas été obligé de l’admettre, il aurait eu l’excuse du film. Et puis, les conditions de production lui ont donné les moyens d’une vrai rencontre. Il avait des facilités qu’il n’aurait pas pu avoir sans cela : un interprète, une infrastructure. J’avais tenu à ce que l’on rentre à Kigali tous les soirs. J’avais dit à Clavel avant de partir, qu’on ne resterait pas au village le soir. Je tenais à ce qu’il y ait une rupture. Il a été d’accord tout de suite. Et je pense que cette rupture était nécessaire. Il y avait un changement énorme de comportement entre la journée, où presque tout était drame, dès qu’il arrivait au village, ou en route, il était assailli par des sentiments violents, et le soir. En rentrant à l’hôtel, il retrouvait l’état dans lequel il est en France. Cela lui permettait de décompresser. Il a vécu des choses indicibles.
Afrik.com : Justement, dans le film, on entend très peu Clavel, est-ce qu’il relate toute la réalité de son passé ?
A.L.M. : Clavel est très pudique, il y a quelques voix off de lui dans le film, mais elles ont été prises en direct pendant le tournage. Rien n’a été ajouté au montage, il n’aurait pas pu.
Dans le film, il ne raconte pas tout. Ce qu’il a vécu est bien plus terrible que ce qu’il dit.
A la maison, dès qu’il a retrouvé la parole, il en parlait tout le temps, à ma femme, à moi. Nous l’écoutions. Il fallait que tout cela sorte, sinon, il aurait eu besoin d’une psychothérapie.
Quand il est arrivé, Clavel n’était plus un enfant. Il avait développé un instinct de survie. Il acceptait tout, n’émettait jamais aucune opposition, pour se faire accepter. Dès qu’il a pu se débrouiller en français, au bout de trois ou quatre mois, il a commencé à parler. J’imagine qu’il a perdu sa langue maternelle pour ne pas donner d’argument à qui que ce soit pour le renvoyer au Rwanda. Il a tout raconté, dans le moindre détail. La première fois, c’était difficile, on ne sait pas trop quelle attitude on doit adopter. On a senti qu’il ne fallait pas l’interrompre.
Nous avons toujours tenu, à ce que Clavel n’oublie pas son histoire. On a maintenu le souvenir du génocide comme celui de ses parents. Il n’a pas pu faire semblant d’oublier. C’est peut-être comme cela qu’il a fait la résilience.
Quand vous avez un môme qui n’est pas un enfant en face de vous, qui ne rit plus, qui ne parle plus, vous avez envie qu’il le redevienne. Ça a fonctionné beaucoup dans la complicité. D’abord avec moi, parce qu’il se méfiait des femmes.
Sa mère l’a abandonné parce qu’il était blessé et qu’il ne pouvait plus avancer, pour sauver la peau de ses autres enfants. Il s’est caché sous les cadavres pour tenter de sauver sa peau. Quand le couple génocidaire est venu pour finir le boulot dans l’église, après le massacre, c’est la femme qui voulait le tuer. Il avait donc besoin de se réconcilier avec les femmes.
Il a aujourd’hui une très grande complicité avec Nadine, ma femme. Sa tante rwandaise l’a bien compris, elle voit Nadine comme la mère de Clavel. Le nom que la famille de Clavel a donné à Nadine est très fort symboliquement il signifie « celle qu’on ne peut pas ne pas aimer », c’est magnifique ! D’autant que le don du prénom n’est pas rien, il devient le nom de famille en rwandais.
Afrik.com : Saviez vous l’un et l’autre ce qui vous attendait en arrivant au Rwanda ? Qui vous alliez retrouver ?
A.L.M. : Nous connaissions l’existence de la tante et du frère de Clavel par la Croix rouge. Des amis journalistes nous avaient même ramené des photos. En revanche, on ne savait pas qu’il restait une cousine, et un oncle. Ils ont une dignité extraordinaire, même lorsqu’ils expriment le pire.
Afrik.com : Avez-vous préparé le film avec Clavel ?
A.L.M. : Non, il était au courant de ce que je faisais et me disait « c’est toi qui te débrouilles, ce n’est pas moi qui fait le film ». Il y a une confiance totale et mutuelle entre nous, c’est ce qui a permis de faire le film.
Afrik.com : On sent d’ailleurs beaucoup de pudeur dans la façon dont vous filmez Clavel. Ce doit être difficile de faire un film sur son propre fils…
A.L.M. : Le fait que je sois le père de Clavel a facilité le contact et la parole, pour la famille de Clavel, c’est une forme de remerciement d’avoir parlé, elle considérait l’équipe, au même titre que moi, comme faisant partie de la famille. Les images sont de Sophie Bosquet. J’ai juste apporté une deuxième caméra pour filmer les gros plans notamment. De par mon lien avec Clavel, je peux m’approcher très près, faire oublier la caméra, mais c’est quand même un film de Sophie Bosquet.
Afrik.com : Vous avez réalisé d’autres films, en quoi celui ci était –il différent ?
A.L.M. : C’est effectivement terriblement différent de mettre en scène un film qui vous concerne. En l’occurrence pour « Clavel, l’enfant n°13 », ce sont mes fils, ma femme, mon petit fils que je filme ! Je n’ai pas fait de repérage, Clavel aurait mal pris que je vois les choses avant. En réalité, c’est lui qui me guidait. Par exemple, la séquence sur la reconstruction de l’identité des parents n’était pas prévue. Ce moment a été l’un des plus importants pour Clavel. Quand vos parents ont été tués comme des chiens, qu’ils ont disparu et qu’ils ne restent plus rien d’eux, pas même une photo, plus de papier, parce que tout a été brûlé avec la maison, on redonne une existence humaine avec des papiers je n’imaginais pas jusqu’à quel point c’était important. Ces papiers sont les seules preuves du passage sur terre de leurs ancêtres.
Afrik.com : Finalement, quel bilan tirez vous de cette expérience?
A.L.M. : Clavel a fait le pont entre son passé et sa vie aujourd’hui, entre ses deux familles qui finalement n’en font plus qu’une.
Le film montre qu’avec des difficultés considérables, on peut quand même s’en sortir.
A voir sur France 3
« Clavel, l’enfant n°13 », vendredi 25 avril à 23h20
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