« Pas de refuge pour les biens mal acquis », clamait-on le mois dernier à Paris dans le cadre d’un forum organisé par la Banque Mondiale et la Suisse. Entre 20 et 40 milliards de dollars, soit entre 15 et 30% de l’aide publique au développement, est détournée chaque année dans les pays bénéficiaires. On estime à 5 milliards les sommes qui ont pu être rapatriées durant les seize années qui viennent de s’écouler. L’initiative pour la restitution des avoirs volés (Star) est une structure qui a pour ambition d’accélérer le mouvement et de priver les avoirs volés de tout refuge depuis 2007. Adrian Fozzard, coordonnateur de l’initiative pour la restitution des avoirs volés, revient sur cette démarche.
L’initiative pour la restitution des avoirs volés (Star) a été mise en place en 2007 par la Banque mondiale et l’Office des Nations unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime (ONUDC). Sa mission est d’aider notamment « à prévenir le blanchiment
des produits provenant d’activités illicites et à accélérer la restitution
systématique des avoirs volés ». Les pays en voie de développement sont privés de 20 à 40 milliards de dollars, soit entre 15 et 30% de l’aide publique au développement. Seuls 5 milliards ont été restitués ces seize dernières années. Ces chiffres ont été publiés lors d’un forum dont le slogan était « Pas de refuge pour les biens mal acquis », organisé par la Banque Mondiale et la Suisse, qui s’est tenu les 8 et 9 juin 2010, à Paris.
Son action s’appuie, entre autres, sur la Convention des Nations unies contre la corruption adoptée en 2003 et ratifiée par 144 pays, et le Programme d’action d’Accra sur l’efficacité de l’aide. En 2008, les pays développés se sont engagés dans ce cadre « à lutter contre les actes de corruption » commis sur leur territoire et à prendre les dispositions « pour geler et récupérer les avoirs acquis illégalement ».
Afrik.com : Quel bilan peut-on faire après trois ans d’existence de l’initiative pour la restitution des avoirs volés (Star) ?
Adrian Fozzard : Nous tentons de faire trois choses. La première est de mettre à l’ordre du jour de l’agenda politique international le recouvrement des avoirs volés et des produits de la corruption parce qu’il est nécessaire d’agir au niveau, aussi bien, des pays riches que des Etats les plus pauvres. Nous y sommes parvenus : cette problématique est à l’ordre du jour de l’agenda du G20. Ce qui permet d’ouvrir des portes. La forte volonté politique exprimée rend plus aisées les missions d’organisations comme le Groupe d’Action financière (GAFI) qui édicte des normes sur le blanchiment des produits de la corruption, le groupe de travail de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, ndlr) sur la corruption, le groupe qui travaille sur le recouvrement dans le cadre de la Convention des Nations unies. Toutes ces structures ont permis de se focaliser sur les normes, leur application et la façon d’empêcher les produits de la corruption de pénétrer dans le système financier international, ce que les pays en voie de développement doivent faire sur le plan légal pour recouvrer les fonds détournés. La seconde action que nous menons est de déterminer les meilleures pratiques dans le monde afin que le système fonctionne mieux.
Afrik.com : Comment pourrait-il mieux fonctionner ?
Adrian Fozzard : On peut utiliser des procédures comme la confiscation sans condamnation (Non Conviction Based (NCB) Forfeiture) qui diminue le fardeau de la charge de la preuve. Les avoirs peuvent être récupérés en cas de décès par exemple du propriétaire, où s’il bénéficie d’une immunité. L’Afrique du Sud utilise cette option et nous encourageons d’autres pays à opter pour elle, comme le Guatemala et la Fédération de Russie. Nous réunissons des experts issues d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine afin qu’ils partagent leurs expériences et fassent avancer le processus. Nous réfléchissons aussi à la manière de recourir à l’enrichissement illicite comme moyen de preuve. Des fonctionnaires, par exemple, qui ont des avoirs disproportionnés par rapport à leurs revenus. C’est une méthode qui est beaucoup utilisée en Amérique Latine pour lutter contre la corruption. Des pays européens, les Etats-Unis s’intéressent à ce procédé. En somme, le deuxième volet de notre action est consacré à l’innovation, à la manière d’aider les pays à apprendre les uns des autres. Le troisième axe de notre travail consiste à apporter une assistance aux pays qui le demandent, soit aujourd’hui 22 pays. Ce qui correspond à 1/7 des Etats (144, ndlr) qui ont signé la Convention des Nations unies, c’est beaucoup. Nous les aidons à mettre en place une boîte à outils dans le cadre d’une action de recouvrement de produits de la corruption. Ils nous demandent, par exemple, comment ils peuvent coopérer avec une juridiction étrangère dans une affaire de corruption qui implique d’autres pays, les Etats-Unis, la Suisse, Singapour, Jersey et autres places financières internationales. Beaucoup de pays n’ont aucune expérience en la matière. Les systèmes judiciaires sont très différents d’un pays à l’autre et ils faut trouver les voies et moyens de les faire travailler ensemble.
Afrik.com : Vous aidez 22 pays actuellement. Combien sont originaires du continent africain ?
Adrian Fozzard : Quatre, parmi lesquels la Tanzanie, le Kenya ou encore le Nigeria. Les deux premiers coopèrent déjà et c’est une très bonne chose. Il est important de souligner qu’il y a déjà beaucoup de coopération en Afrique. Des pays comme la Tanzanie, le Kenya et le Rwanda échangent déjà des informations et instruisent des affaires sur une base transfrontalière. L’Afrique du Sud est un grand leader en la matière : le pays dispose d’une unité de recouvrement d’avoirs et de biens mal acquis. En termes de coopération sous-régionale, il y a Arinsa (Asset Recovery Inter-Agency Network for Southern Africa) qui constitue une ébauche d’un réseau de recouvrement d’avoirs dans l’Afrique australe. Nous réfléchissons au meilleur moyen de soutenir cette initiative, en d’autres termes la coopération entre pays africains, la coopération Sud-Sud.
Afrik.com : Un cinquième des demandes d’aides sont africaines. Ce qui paraît peu, compte tenu de l’étendue du fléau sur le continent. On a l’impression, comme c’est le cas pour la République Démocratique du Congo, que les pays africains traînent des pieds pour récupérer les avoirs qui ont été détournés. C’est une réalité ou une mauvaise perception de la situation ?
Adrian Fozzard : Il faut mettre les choses en perspective. Il y a 20 ou 30 ans, dans la plupart des pays comme la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, quand on parlait de crime, il s’agissait de mettre le responsable en prison. De façon graduelle, ces pays ont mis en place un cadre législatif qui permet non seulement de punir le criminel, mais aussi de savoir ce qu’il a fait des sommes détournées parce que l’argent constitue un profit ou un instrument du crime. En Grande-Bretagne, le dispositif n’est opérationnel que depuis quelques années. Au Etats-Unis, le système est plus vieux mais il n’en est pas moins récent. Il faut maintenant faire passer l’idée de juger un crime tout en s’intéressant à ses implications financières aussi bien au niveau local qu’international. La convention des Nations unies, le premier instrument de coopération internationale en matière de recouvrement d’avoirs, date de 2003 et elle est entrée en vigueur en 2005. Tout ceci ne date que de 5 ans. En outre, les hommes de loi, qui opèrent dans le domaine, n’ont pas d’expérience en ce qui concerne ces nouvelles problématiques. Ils n’y pensent même pas a priori. Il faut donc éduquer les juristes, les autorités judiciaires et politiques pour qu’ils aient le réflexe de ne plus penser seulement emprisonnement quand il s’agit de corruption, mais aussi de recouvrement de fonds détournés. Progressivement, les gens prennent conscience des opportunités qui s’ouvrent à eux et commencent à les utiliser. Cela va prendre du temps. Mais les pays africains son intéressés, on le voit au nombre de délégués qui ont participé au premier forum sur la question. Parmi eux, certains en savent beaucoup comme le représentant de la Tanzanie qui est un haut responsable de la lutte contre la corruption dans son pays. Les mécanismes de recouvrement des avoirs illicites n’ont aucun secret pour lui. De même que l’Afrique du Sud ou le Nigeria qui ont l’une des plus importantes expertise en matière de recouvrement de biens mal acquis. Il faut encourager ces pays à entraîner le reste du continent. On écoute plus aisément ses pairs que des étrangers.
Afrik.com : L’Afrique du Sud est dans une situation particulière. Elle est à la fois pays victime et pays de destination …
Adrian Fozzard : Ce que nous avons appris durant ces 2-3 dernières années, c’est que tout cela relève de la zone grise. Il y a de la corruption partout et l’argent circule. Victime ou pays de destination, l’Afrique du Sud a une importante responsabilité dans les deux cas. Les Sud-africains doivent avoir la capacité d’enquêter sur les produits de la corruption qu’ils accueillent. Ils l’ont et la mettent en œuvre. Beaucoup de pays d’Amérique Latine sont aussi dans cette situation. Une fois, ils sont à l’origine d’une demande de recouvrement, la fois suivante, ils doivent permettre d’aller au bout d’une procédure de recouvrement.
Afrik.com : La position de la France quand il s’agit des produits de la corruption est difficile à commenter. Mais peut-on dire que c’est parce qu’elle n’a pas les outils juridiques nécessaires, comme la Suisse qui veut pouvoir restituer des biens mal acquis sans coopération des pays d’origine, que la France est attentiste dans l’affaire des biens mal acquis qui concernent le Gabon, le Congo ou la Guinée-Bissau ?
Adrian Fozzard : Je n’ai pas assez étudié le système judiciaire français pour répondre à cette question. Ce qui est certain, c’est que la France dispose d’un puissant cadre législatif pour lutter contre le blanchiment sur le plan pénal. Ce que nous essayons d’apprendre d’eux, c’est la façon d’utiliser le droit civil pour lutter contre la corruption. Car il s’agit de répondre à une problématique, celle de marier les systèmes judiciaires qui s’appuient sur le droit civil et ceux qui s’appuient sur le Common law, en vigueur dans les systèmes anglo-saxons.
Afrik.com : Le recouvrement d’avoirs semble demander beaucoup d’expertise ?
Adrian Fozzard : C’est avant tout un processus juridique. Pour récupérer des avoirs, il faut qu’un juge se prononce sur la question en disant qu’ils appartiennent à quelqu’un d’autre. Il faut donc produire des preuves pour démontrer que ces biens ont été mal acquis dans les deux pays, d’origine ou de destination. Il y a plusieurs moyens de procéder et il faut arbitrer entre déclencher la procédure dans son pays ou à l’étranger en fonction de la nature des preuves détenues et de la flexibilité du système judiciaire. L’une d’elles est de lancer une procédure criminelle qui consiste à démontrer qu’il y a une affaire de corruption dans un pays donné, d’en déterminer les responsables et de localiser les produits de la corruption qui peuvent être dans un autre pays. Le pays victime prend le verdict établi dans son pays, qui appelle à la confiscation, et va le faire valoir dans un autre pays. Le Nigeria a eu, dans certains cas, recours à cette méthode (cas Sani Abacha dont la Suisse a rendu les avoirs à son pays en 2005, ndlr). On peut également réunir des preuves et demander aux pays qui accueillent ces biens illicites d’entamer une procédure judiciaire en vue de confisquer ces biens. Dans le cas Diepreye Alamieyeseigha (le gouverneur de l’Etat pétrolifère de Bayelsales avait accumulé des gains illicites dans ces différents pays, ndlr) qui avaient caché ses biens en Afrique du Sud et en Grande Bretagne, les Nigérians ont produit les preuves et les justices sud-africaine et britanniques ont fait le reste. Ce qui nous importe en matière d’assistance, c’est que les pays aient tous les outils nécessaires. Cela prendra évidemment beaucoup de temps.
Afrik.com : Quels sont les outils dont disposent aujourd’hui les pays africains ?
Adrian Fozzard : Dans la plupart des pays, le cadre juridique est basique. En d’autres termes, crime équivaut à emprisonnement. Au mieux, à confisquer les produits de la corruption. Mais ce qu’il faut, c’est établir le lien entre les fonds et la corruption, et par conséquent un cadre légal qui permet de dire que ses avoirs sont le produit de la corruption. Nous ne savons pas combien de pays africains disposent à leur actuelle de ce dispositif. C’est ce à quoi nous nous attelons, à faire le bilan sur ce dont dispose chaque pays aujourd’hui, au vu des normes édictées par de la Convention des Nations unies.
Afrik.com : Dans cette configuration, des pays comme le Nigeria, l’Afrique du Sud semblent s’en sortir particulièrement bien…
Adrian Fozzard : Le Nigeria et l’Afrique du Sud ont une considérable expérience en matière de recouvrement d’avoirs illicites. Ils ont dû faire face à de nombreux cas et disposent du cadre législatif pour y faire face. Le Kenya et la Tanzanie sont également bien lotis dans ce domaine. Il n’en reste pas moins que ces pays ont encore besoin de renforcer leur système.
Afrik.com : Dans votre croisade pour le recouvrement, les paradis fiscaux constituent-ils des trous noirs ?
Adrian Fozzard : Absolument pas. Si vous retrouvez la trace de fonds détournés sur une place financière, elle est prête dans la majorité des cas à coopérer. L’essentiel étant de disposer de preuves. L’enjeu aujourd’hui est d’identifier précisément les bénéficiaires de ces biens mal acquis. Dans beaucoup de juridictions, cela renvoie à la propriété légale. Ce qui peut vous amener au propriétaire, ce sont des entités légales qui sont parfois des personnes morales. Les normes doivent être modifiées et renforcées dans ce domaine pour qu’on détermine rapidement les propriétaires de ces avoirs.
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