La France a importé entre 1963 et 1981 plus de 1 630 enfants réunionnais pour repeupler ses campagnes et s’assurer une main d’œuvre pour les années à venir. Pour cela, elle a trompé et menti aux parents démunis auxquels elle a pris leur progéniture. Devenus adultes, certains Réunionnais, ont lancé une attaque, en 2002, contre l’Etat français.
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En près de 20 ans, de 1963 à 1981, ils ont été plus de 1 630 petits Réunionnais, issus de familles pauvres et tous plus ou moins métis, à avoir été arrachés à leur île de l’océan Indien. Nombre d’entre eux furent enlevés à leurs parents pour être placés dans les départements ruraux de la métropole par la Direction départementale de l’action sanitaire et sociale (DDASS) de la Réunion, avant parfois d’être adoptés.
Enfants réunionnais importés pour servir de main-d’œuvre plus tard
Au début des années 60, les pouvoirs publics s’affolent : le boom démographique à la Réunion est énorme, les infrastructures de l’île sont déficientes. Or, à la même époque, en métropole, l’économie florissante a grand besoin de bras et les campagnes se vident. La solution est vite trouvée… Les politiques, derrière le Président De Gaulle, son ministre Michel Debré, député de la Réunion à partir de 1963, et les préfets successifs appliquent conjointement sur l’île un plan de développement sanitaire et social et un plan migration.
Entre 1962 et 1970, plus de 23 000 Réunionnais partent pour la métropole. La DDASS joue son rôle dans ce grand dessein, avec plus ou moins d’enthousiasme selon ses directeurs successifs, pressurée par le préfet qui exige son quota d’enfants à placer dans la France profonde. La DDASS applique une protection sociale de l’enfance en danger offensive, à la recherche incessante de petits déshérités à convoyer par dizaines.
La France trompe les parents pauvres pour prendre leurs enfants
Plutôt que d’aider les familles en difficulté, comme la loi le prévoit, la DDASS leur retire leurs enfants, promettant qu’ils iront à Paris, feront des études, reviendront en vacances sur l’île. Mensonges… Certains parents illettrés, en posant leur pouce encré au bas d’un papier, signent sans le savoir un abandon de leur enfant, qui devient pupille de l’État.
Si tous n’ont pas été malheureux, une bonne partie d’entre eux ont été placés dans des fermes de Creuse, Lozère, Gers, etc, où ils sont exploités. Certains ont navigué de foyers en centres de formation, dans une France rurale des années 60 et 70, où leur couleur de peau et leur statut d’orphelin en faisaient des boys en puissance. Au foyer de Guéret (Creuse), qui a accueilli plus de 200 petits Réunionnais, un nouveau directeur arrive en 1969 : « Le premier jour, racontera-t-il en 2002, je vois arriver un paysan qui me dit: ‘Je veux un petit Noir. Ça bosse, ça prend un repas par jour, ça couche dans la paille et ça se chausse de sabots’…»
Les enfants devenus adultes demandent réparation
À de nombreuses reprises, des voix s’élèvent au sein même de l’administration pour dénoncer les conditions de vie de ces déracinés. Toutes sont étouffées. Il faut attendre 2001 pour que cette page des relations de la métropole avec l’un de ses départements d’outre-mer commence à émerger à la lumière. Une poignée de ces enfants, devenus adultes, ont pu consulter leurs dossiers, et compris que leurs parents avaient été abusés. Ils ont décidé d’engager, en 2002, des recours individuels contre l’État devant des tribunaux administratifs, en demandant d’énormes dédommagements.
L’inspection générale des Affaires Sociales, saisie la même année, « n’est pas conduite à dresser de bilan négatif de cette politique de ‘migration des pupilles’ de la Réunion » et assure que « les modalités de départ respectaient globalement la législation alors en vigueur ». Il n’est pas sûr que les juges, dont on attend avec impatience le verdict sur les quelques cas dont ils sont saisis, suivent cette analyse…
François Carrel
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