À Maroua, la métropole provinciale de l’extrême-nord du Cameroun, le mois du ramadan ne ressemble à aucun autre. Un changement radical s’opère dans les habitudes de la population. Une journée de jeûne dans le Sahel en compagnie de Bouba.
Natif de Garoua, la ville voisine, Bouba travaille et vit à Maroua. Lui, le gentleman charmeur, grand amateur de sorties nocturnes, change du tout au tout lors du mois de ramadan. Il laisse tomber ses inséparables pantalons en jeans et ses chemises à fleurs pour les jellabas. Ses chaussures croco retrouvent un temps le placard et sa coiffure afro n’est plus qu’un lointain souvenir. « C’est un mois de purification, il n’est pas question que je porte cette quincaillerie qui appelle le Diable », argue-t-il pour expliquer cette métamorphose.
Le changement chez Bouba n’est pas que vestimentaire. Lui, le musulman semi-pratiquant, qui ne faisait ses prières qu’occasionnellement, est le pensionnaire le plus régulier de la mosquée du quartier. Sur la table du salon, les magazines de sport et people ont cédé la place aux ouvrages à caractère religieux. Les cassettes de Manu Dibango et de Petit Pays soigneusement rangées, les stars de l’heure ont pour nom Ahmed Dida (le grand prédicateur sud-africain d’origine afghane), Cheikh Ahmadou Bamba , Serigne Bassirou Mbacké…
L’attente de l’appel du muezzin
De nouvelles habitudes qui n’ont pourtant rien changé à son humeur massacrante quand vient l’heure du « Soumtougo » (coupure du jeûne). Quasi mécaniquement vers 18 h, il s’affale sur le divan, l’oeil rivé sur la pendule murale. Rétif à toute conversation, qu’il juge a priori futile et incompatible avec la « faim » qui le tenaille, Bouba ne sort de sa torpeur que pour houspiller son épouse sur sa nonchalance à finir la préparation du repas de rupture de jeûne.
Pourtant, madame s’active, car elle a déjà posé sur une natte jetée à même le sol un grand plateau dans lequel sont rangées une demi-douzaine de tasses de café avec, à côté, une soupière à moitié remplie de beignets à l’odeur appétissante. Comme dans une ruche, les trois filles de Bouba font des va-et-vient entre la cuisine et le salon où attend, imperturbable, le paternel. L’heure du « Soumtogo » s’approchant davantage, la mère envoie la plus jeune de la famille chercher le pain à la boulangerie située à quelques mètres de là.
Prendre une datte comme le prophète
Ces préalables effectués suivant un rituel bien maîtrisé depuis le début du ramadan, toute la famille se retrouve autour du chef de famille, dans le salon, et attend le coup d’envoi de la coupure du jeûne, via la voix du muezzin de la mosquée du quartier. Avant le moment fatidique, un vieux haut parleur crachote des versets de Coran. Jonchée de mets, la natte focalise tous les regards des Bouba.
Dès le chant du muezzin, le chef de famille se sert d’abord en prenant une datte, puis fait circuler le plateau d’agrumes qui passe de main en main sous l’oeil vigilant de madame. Elle veille à ce que chacun prenne une datte et une seule. Il paraît que le Prophète Mahomet en faisant autant. Il coupait toujours le jeûne en prenant une datte. Les fruits expédiés, on attaque le café, comme si l’on voulait rattraper le petit-déjeuner habituel. Pour les uns, c’est café nature, pour d’autres il faut ajouter quelques cuillerées de lait en poudre avant de l’accompagner d’une bonne tranche de pain tartinée au beurre. Comme par miracle, les conversations fusent et chacun, à commencer par l’irascible père de famille, commente sa journée de ramadan.
Un mois financièrement éprouvant
Les visages, qui ont peu à peu retrouvé une expression joviale, se détendent encore plus au moment où beignets, pains tartinés, croissants et saucissons ont, comme par enchantement, disparu de la natte. Tout à la joie de couper le jeûne, Bouba et son épouse reconnaissent qu’ils dépensent plus pendant le mois de ramadan, même si au lieu de trois repas par jour on n’en prépare qu’un seul.
A Maroua, le rituel consiste, après la coupure et la prière de « Soumaé », à servir un repas copieux, habituellement du couscous de mil ou de maïs (il est préparé un jour sur deux), sans compter les jus de fruit, les mangues et autres goyaves. Après ce repas, le naturel reprend un peu le dessus et Bouba d’empoigner le combiné téléphonique pour prendre des nouvelles de la ville. Même le mois de ramadan ne gomme pas facilement certaines habitudes.
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