« Le medecin, acteur-clé de la Couverture Santé Universelle au Cameroun ». C’est le thème qui a servi de fil d’ariane lors de l’assemblée générale ordinaire de l’ONMC (Ordre national des médecins du Cameroun) tenue les 23 et 24 novembre 2018 à Douala.
On a noté la présence à cette importante rencontre annuelle de Monsieur Christian Michel ROBERT, Consul général de France à Douala, les autorités administratives, les chercheurs et les dirigeants des organisations sanitaires de la diaspora.
Le projet de COUVERTURE Santé Universelle (CSU) est sans aucun doute un concept nouveau et inédit au Cameroun affecté par un taux de mortalité infantile supérieur à 52 pour 1000 naissances et un taux de mortalité maternelle de plus de 700 pour 100000 naissances. De plus, quand on songe que les dépenses de santé sont évaluées dans notre pays à près de 800 milliards de fcfa dont les familles supportent près de 80% en fonds propres, on mesure toute l’importance de l’enjeu de la réussite de la CSU.
Ce projet mis en œuvre de manière cohérente et à la satisfaction des besoins de santé des populations pourrait hisser de manière irréversible notre pays aux cimes de son histoire et celle de l’Afrique contemporaine.
En effet, la CSU (Couverture Santé Universelle) consiste à créer un fonds destiné à garantir à l’ensemble de la population un accès équitable aux soins et services de santé de qualité sans contraintes financières.
Dans son principe conceptuel il repose sur quatre piliers qui sont : la constitution du fonds, la gestion de ce fonds, la définition des cibles des prestations des soins et les modalités des prestations des soins aux bénéficiaires.
Si les membres du corps médical dans leur ensemble et leurs particularités respectives sont concernés comme citoyens par tous les volets de la CSU, c’est spécifiquement dans le volet de la gestion des prestations des soins qu’ils interviennent comme acteurs incontournables.
La pratique de l’exercice illégal de la médecine
Est ainsi définie, pour ce qui concerne la profession médicale, toute activité qui viole les dispositions de la loi N°90-36 du 10 août 1990 relative à l’exercice et à l’organisation de la profession de médecin. Après avoir statué en son article 2 que « nul ne peut exercer la profession de médecin au Cameroun s’il n’est inscrit au tableau de l’Ordre », cette loi définit elle-même les conditions d’exercice de la médecine en clientèle privée en ses articles 5 à 12 ainsi que l’exercice illégal de la médecine en ses articles 16, 17, 18. Ce dispositif légal n’autorise aucune complaisance vis-à-vis des pratiques qui ont élu domicile dans nos villes et nos zones rurales.
Ainsi, le dispositif ci-dessus énoncé cible de manière claire et irréfutable toute cette jungle de plus de plus de 1500 formations sanitaires privées (FOSA) illégales et illicites ainsi que toutes ces initiatives de promoteurs de cliniques privées ou confessionnelles qui fleurissent de manière illégale dans toutes les villes et les quartiers de notre pays comme si la loi n’existait pas ou plutôt comme si force n’était plus à la loi.
La caractéristique principale de cet exercice illégal c’est le caractère informel des acteurs et des pratiques de soins qui ne garantissent nullement la qualité des soins administrés aux malades et par conséquent les chances de leur survie en cas de nécessité vitale.
Les causes de l’exercice illégal de la médecine
- La qualité insuffisante des hôpitaux publics (HP)
Ce constat s’impose quand on observe que seul 15 à 20% de la population utilise les services des hôpitaux publics et que près de 70 à 80% recourt aux services de la médecine traditionnelle ou du secteur informel des FOSA illégales ou illicites. Les facteurs de cette désaffection du public vis-à-vis des hôpitaux publics sont connus. Il s’agit notamment de ceux qui suivent :
- L’insuffisance du plateau technique des hôpitaux publics ;
- La qualité et la quantité insuffisantes du personnel médical et médico-sanitaire qui s’explique par les mauvais salaires et la démotivation des jeunes médecins et infirmiers sans oublier l’inculturation des pratiques de corruption ;
- Le manque de valorisation du personnel par rapport à d’autres secteurs de la fonction publique (magistrature, forces armées-police, douane, etc)
- L’absence de plan de carrière et la retraite précoce des fonctionnaires qui regardent le secteur privé comme un eldorado.
- La qualité insuffisante des formations sanitaires privées (FSP)
Force est de constater que, excepté un petit nombre d’entre elles, les cliniques privées constituent rarement un recours significatif pour le malade en détresse ou confronté à de sérieux problèmes de diagnostic ou de traitement cout-efficacité favorable. C’est dans l’exception de ce secteur privé que le public trouve à des coûts prohibitifs la qualité du matériel de radiodiagnostic moderne ou des explorations fonctionnelles de haute performance. C’est ici que le personnel de haute qualité de l’Etat trouve au détriment des HP le complément indispensable à sa survie quotidienne. Néanmoins, chacun sait que ce refuge n’est malheureusement pas celui à coût supportable des familles en matière de soins intensifs, de soins de la mère et de l’enfant ou en chirurgie ou en oncologie lourdes.
- La gouvernance insuffisante de la santé publique
Il est certain que le maillon le plus faible de la lutte contre l’exercice illégal repose sur le socle de la mauvaise gouvernance de notre système de santé publique. Car la tolérance administrative vis-à-vis du dispositif légal, l’absence de contrôle des FOSA, l’impunité érigée en principe de gestion et la fameuse redevance sont autant de facteurs qui creusent le lit de l’exercice illégal de la médecine. Celui-ci, comme un fleuve tranquille sillonne et traverse toutes les couches de la société et rend ingouvernable la santé publique attendue par les populations.
- La faiblesse du secteur de la médecine préventive
L’autre grande évidence qui menace la CSU est la faiblesse de notre système de santé préventive. En effet, excepté les performances du système de vaccination de routine des enfants et des adolescents (couverture vaccinale des enfants de moins de 5 ans > 70% pour DTC3), la faiblesse des programmes de promotion de la santé (HIV, de nutrition, diabète et MCV, cancers, et autres programmes de lutte contre les grandes endémies) constituent autant de facteurs capables d’engorger les services de consultations de maladies courantes et évitables par la prévention et alimenter ainsi les méfaits de l’exercice illégal de la médecine.
Impact de l’exercice illégal de la médecine sur la CSU
Il est évident que l’exercice illégal de la médecine ne peut que profiter de tous les points de faiblesse ci-dessus décrits pour favoriser des dépenses incontrôlables de la future CSU et entraîner son éventuelle faillite. Il en est ainsi de la nécessité de l’identification biométrique des acteurs et des bénéficiaires de la prestation des soins, de la nécessité d’une classification des prestations de soins et des médicaments, etc.
Toutes les dérives ci-dessus décrites pourraient être évitées dans une large mesure par une étroite collaboration entre une CSU totalement indépendante d’une part et d’autre part, associés dans un partenariat d’intérêt général gagnant, le ministère de la santé publique, les syndicats de la santé et des Ordres professionnels de santé y compris l’Ordre des médecins.
De ce qui précède, il ressort que le fonctionnement et la pérennisation du projet de la CSU est incompatible avec l’état actuel de la pratique des soins, handicapé et hypothéqué par l’exercice illégal de la médecine. La survie et la pérennité de la future CSU exigent de la part de l’Etat un contrôle préalable et rigoureux de cet exercice illégal de la médecine.
Pour le Dr Guy Sandjon, président de l’ONMC (Ordre national des médecins du Cameroun) : « L’analyse de ce fléau mérite un examen en profondeur afin de disséquer et de comprendre la menace que représente cette hydre de la pratique de la médecine pour le projet de la CSU. Pour ce faire, nous examinerons la pratique de l’exercice illégal de la médecine, ses causes et son impact éventuel sur la pérennité de ce financement ».