Il est évident, les débuts du nouveau pouvoir ivoirien sont difficiles, voire même périlleux en dépit de nombreux signes visibles d’un retour très encourageant à la normalité de la vie dans ce pays profondément meurtri et déstructuré par dix années de gouvernance hasardeuse. Il est inutile de rappeler dans les détails dans quelles circonstances le nouveau président ivoirien a accédé au pouvoir après avoir été élu démocratiquement. Vu l’impressionnante quantité d’armes lourdes dissimulées partout dans la ville d’Abidjan par l’ancien pouvoir, qui, visiblement s’était préparé au pire, on peut se demander ce que pouvait faire légitimement le vainqueur de cette élection pour rendre effective sa victoire. Fallait-il laisser l’ex-chef d’Etat usurper le pouvoir par la force des armes en faisant « mille morts à gauche et mille morts à droite en traçant son chemin » pour se maintenir au pouvoir malgré le verdict des urnes ? Dans ce cas, quel sens aurait à l’avenir l’organisation d’une élection présidentielle sur l’ensemble du continent, si les résultats peuvent être contredits et falsifiés par la terreur des armes et d’un conseil constitutionnel aux ordres, de manière presque « normale » ? L’issue de cette crise post-électorale ivoirienne était décisive pour toutes les dictatures africaines pour qui, ce qui se jouait dans ce pays constituait un cas d’école et pourrait faire « jurisprudence » en la matière.
Plus de trois mois après son accession au pouvoir dans la douleur et dans le sang, grâce à la détermination et au courage de jeunes volontaires qui ont sacrifié leur vie pour le respect de la légalité, le président Ouattara semble aujourd’hui gêné par des accusations graves de l’ONU et des ONG. Ces organisations en charge des droits de l’Homme accentuent chaque jour leur pression sur le nouveau pouvoir en place afin que les exactions commises par les éléments des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) soient punies avec la même force que celles commises par les éléments de l’ancien régime, les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) de Laurent Gbagbo. C’est également le souhait du président élu, qui veut que la lumière soit faite sur toutes formes de violences et de crimes dans le pays et que la justice impartiale. ADO est conscient de ces faits et réalise qu’il est sous pression d’une part par ces ONG et l’ONU qui réclament justice comme lui, et tant mieux pour la démocratie et les ivoiriens. Et d’autre part, par les agissements des FRCI grâce à qui la légalité constitutionnelle fut rétablie dans ce pays, au bord de la guerre civile. En véritable démocrate, soucieux des libertés individuelles et collectives, il aurait aimé arriver au pouvoir par la seule volonté du peuple grâce au suffrage universel. Aujourd’hui, de rudes réalités s’imposent à lui dans sa gestion du pouvoir, et l’oblige à prendre des décisions délicates et sensibles à quelques mois des élections législatives à hauts risques. Par exemple, en ce qui concerne le trésor public, il faudrait que le président trouve le moyen d’unifier les caisses de l’Etat et rétablisse la sécurité dans le pays afin de favoriser le retour des investisseurs. Le président est aussi confronté au sein de son armée à un sérieux casse-tête « d’examen » de grades, autant chez les FRCI que les FDS.
Il lui faut donc trouver des Solutions comme il l’a promis lors de sa campagne électorale, pour faire respecter l’état de droit et la légalité républicaine sur l’ensemble du territoire tout en ménageant les différentes forces systémiques sur lesquelles se fonde son pouvoir. Nous le savons aussi, les éléments qui composent les FRCI ne peuvent pas tous être intégrés dans l’armée pour des questions budgétaires évidentes. Selon des indiscrétions, certains devraient se reconvertir dans la société civile, dans les affaires et même dans la politique. C’est le cas par exemple des « Com-Zones » qui contrôlent déjà des villes et circonscriptions du Nord et du Centre du pays. Cette donne peut, de fait, ouvrir des possibilités dans les négociations pour reclasser ces militaires, mais aussi pour l’avenir politique de l’actuel premier ministre. Quoi qu’on dise ou qu’on pense de lui, c’est un acteur politique majeur ivoirien, aux grandes ambitions légitimes, qui a su se rendre incontournable grâce à sa maîtrise des forces armées sur le terrain. En se faisant élire, ces ex-rebelles aujourd’hui devenus des dignitaires respectables pour la plupart d’entre eux, se prémuniront de fait d’une immunité parlementaire qui pourrait les protéger en cas de besoin comme tous les autres élus. De retour à la société civile, cette possibilité de se retrouver au sein d’un futur parti politique autour de l’actuel premier ministre peut-être le début d’une grande aventure politique pour lui. Avec la possibilité de création d’un parti politique, l’actuel premier ministre qui devrait quitter la Primature après les futures élections législatives, pourrait être un sérieux prétendant à la succession de l’actuel locataire de la présidence ivoirienne. Mais pour cela, il a encore beaucoup à apprendre, notamment sa gestion des ressources humaines qui peuvent l’aider à réaliser cette ambition présidentielle en préparation. L’enracinement de ces ex-rebelles dans ces régions qu’ils administrent depuis près de dix ans peut-il gêner le nouveau pouvoir en cas d’élections démocratiques à venir ? Dans tous les cas, il vaut peut être mieux avoir des opposants identifiés comme tels dans une logique démocratique, qu’avoir des alliances incertaines et aléatoires qui peuvent fortement pénaliser les plus ambitieux des projets de société et de gouvernement sur lesquels on a été élu.
Abidjan le 23 juillet 2011
Macaire Dagry
Chroniqueur Politique à Fraternité Matin