En démocratie, la légitimité s’apprécie selon un double critère : la légitimité électorale, déterminée par la majorité du suffrage, et la légitimité administrative, qui se conquiert par le service effectif de l’intérêt général et du bien commun par le parti élu.
Quand un parti ayant remporté l’élection présidentielle échoue dans ce service administratif de l’intérêt général, il perd sa légitimité. C’est en raison de cette loi de la politique en démocratie que l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo avait mis le nouveau président élu Alassane Dramane Ouattara au défi de relever la gageure de la légitimité administrative lorsqu’il l’avait interpellé en lui demandant de remettre l’économie du pays à flot et de garantir la sécurité pour tous les Ivoiriens. Cette interpellation solennelle fut proférée en mai 2011 par Laurent Gbagbo lors de la visite que les Elders lui rendirent dans sa prison de Korhogo ! La légitimité de la mandature du nouveau Président ivoirien fut donc clairement placée sous le défi de la conquête de la légitimité administrative. Or, deux ans après son accession au pouvoir au terme du suffrage universel, les infrastructures économiques sont largement en passe d’être entièrement reconstruites et remises en Etat par le nouveau Président de la République Alassane Dramane Ouattara. Il faut alors souligner la dimension symbolique et pratique de la politique de remise en Etat à marche forcée de l’infrastructure économique et sociale ivoirienne. La politique démocratique contemporaine se définissant par l’attention de l’exécutif d’un pays aux besoins concrets des peuples, au souci de satisfaire les intérêts des groupes sociaux, la mise en œuvre de la puissance publique au service de la reconstruction de cette base du service du bien commun, atteste d’un service de l’intérêt général dans une société auparavant clivée par un conflit identitaire.
Cette orientation, qui privilégie la remise en Etat des infrastructures, occulte-t-elle le problème de la cohésion sociale comme se plaît à le soutenir l’opposition ivoirienne? Certes, l’homme ne vit pas que de pain et d’eau ! Mais dans tous les pays du monde la construction des routes, des ponts et des ports, l’équipement des hôpitaux publics, le ramassage des ordures ménagères, l’organisation de l’éducation nationale et de la formation professionnelle, le maintien de l’ordre républicain et de la sécurité publique, l’organisation de la défense nationale constituent le service de l’intérêt général et la préservation du bien commun. Selon Adam Smith, il s’agit des fonctions régaliennes de l’Etat qui fournissent aux citoyens un cadre dans lequel l’initiative individuelle peut s’épanouir. Lorsque l’opposition ivoirienne tient pour négligeable, pour nul et non avenue, la remise en état des infrastructures, faut-il penser que sa conception du service de l’intérêt général se réduit au service des intérêts des prétendus autochtones au détriment du reste de la société ? Faut-il y voir la source idéologique de la négligence des infrastructures que l’on constata en Côte d’Ivoire entre 2000 et 2010 par une classe dirigeante qui réduisit la fonction régalienne de l’Etat au contrôle de la société et à la réécriture du code de la nationalité selon le critère antirépublicain de l’autochtonie ? A supposer que cette conception constitue la culture politique des élites modernes du continent, elle expliquerait alors la négligence de l’équipement en infrastructures que l’on constate dans la plupart des Etats africains.
En vérité, en reconstruisant les infrastructures sur toute l’étendue du territoire, est rebâtie la base matérielle qui représente le bien commun de la société et qui conditionne le service de l’intérêt général. En Côte d’Ivoire, cette reconstruction des infrastructures est un symbole d’unité des populations dans l’égalité républicaine et citoyenne. Et c’est un message de commune appartenance adressé au peuple de Côte d’ivoire en sa pluralité. Il en fut toujours ainsi sous Houphouët Boigny ! Quel Ivoirien de la génération des années 1965 à 1975 ne se souvient pas des fêtes tournantes de l’Indépendance durant les années du « miracle ivoirien » ? La mémoire de cette époque devrait être transmise de génération en génération comme modèle d’une gouvernance fondée sur l’exercice plénier des fonctions régaliennes. Elle véhicule le message de l’unité et de l’égalité citoyenne de la pluralité des peuples ivoiriens qui se sont construites sur une politique de redistribution des richesses nationales sans discrimination.
Avec la crise économique, l’époque contemporaine en Côte d’Ivoire est désormais à la politique de production et de reconstruction. En une période de rareté, alors que le déchirement du tissu social a été aggravé par une crise post-électorale inutile, la politique démocratique ne peut qu’être une politique d’impartialité dans l’effort collectif en vue de la reconstruction du bien commun. Le temps est à la critique démocratique du gouvernement sous le principe du service de l’intérêt général et du bien commun. L’époque est désormais celle de l’attention aux besoins concrets des populations qui passe par la médiation d’un retour réflexif de chacun sur soi-même ; retour qui le dispose intérieurement à servir, à son niveau, l’intérêt général dans une conscience de démocratie participative citoyenne. Chacun doit entreprendre un retour critique sur soi pour se libérer de ses démons intérieurs. Nous devons entreprendre ensemble l’effort collectif qui nous permet de surmonter le démon du tribalisme, de l’accaparement des richesses publiques, de la privatisation de la chose publique dans la corruption et le clanisme. Ces maux sont largement partagés dans tous les secteurs des sociétés africaines, et notamment au niveau des élites habiles aux manipulations et à l’instrumentalisation de la conscience ethnique des peuples pour s’accaparer du pouvoir. En Côte d’Ivoire, l’origine de la crise politique et sociale qui a accentué la crise économique, réside dans ces plaies.
Ce que l’on stigmatise comme accaparement de tous les postes par les membres d’une ethnie spécifique est la version socio-ethnique, répandue dans la presque totalité des Etats multiethniques africains, du système des dépouilles républicaines qui consiste en ce que l’obédience idéologique et partisane ayant recueilli la majorité du suffrage universel en démocratie attribue les postes de la haute administration à ses membres. L’administration doit en effet, en démocratie, être l’organe de la volonté générale. Le partage du pouvoir par les membres du RHDP se situe en ce sens dans le cadre de l’orthodoxie démocratique de la dépouille administrative. Que la mise en œuvre de cette logique de la dépouille ait un caractère ethnique fait ressortir un problème sociologique insurmonté et accentué par le clivage identitaire qui eut cours, en Côte d’Ivoire, durant une décennie et détruisit l’unité nationale construite par Félix Houphouët Boigny.
La dénonciation de la nature ethnique de cette distribution du pouvoir administratif pose alors le problème de la reconstruction de l’espace républicain. Il faut, pour en sortir, refonder le contrat social sur le principe citoyen de la nationalité en Côte d’Ivoire. Il faut travailler à réaliser une administration indépendante de la sphère partisane. Il faut séparer les intérêts partisans de l’intérêt général de la nation. Il faut distinguer les intérêts corporatifs du Bien commun. Il faut confier la gestion du Bien commun à une administration indépendante dirigée par des personnes qui l’incarnent dans un corporatisme de l’universel et qui font du service de l’intérêt général un service sacerdotal. Et il faut faire du critère de la compétence et de la rationalité le principe de sélection des administrateurs du bien commun. Les concours, qui dans une république sélectionnent les administrateurs, selon le critère de la compétence, doivent être transparents comme doivent l’être les élections qui permettent en République de sélectionner les représentants de la volonté générale ayant, par leur conduite quotidienne, démontré aux populations leur aptitude à servir le Bien commun. Et comme il apparaît de nos jours que, dans tous les Etats du monde, les administrateurs de l’universel peuvent se transformer en une corporation de défense d’intérêts particuliers et tomber sous la coupe des partis politiques, il faut exercer un contrôle démocratique sur l’administration et limiter le pouvoir de l’exécutif. Pour préserver le principe de l’administration démocratique impartiale des intérêts de la pluralité sociale et économique, il faut exercer le même contrôle permanent pour garantir l’impartialité des Autorités Administratives Indépendantes auxquelles les Etats confient une partie de leur fonction administrative. En vérifiant l’impartialité des Organisations Non Gouvernementales et des Autorités administratives Indépendantes, le contrôle démocratique doit permettre d’éviter qu’elles ne soient accaparées par des groupes d’intérêts.
Ces impératifs posent la question d’une éducation démocratique qui diffuse dans la société entière une culture de la critique, de l’acceptation de la conflictualité démocratique des intérêts et des opinions. Ils rendent nécessaire la promotion d’une culture de la défense du Bien commun, du service de l’intérêt général, du partage de la valeur démocratique, de la coexistence des différences identitaires culturelles et confessionnelles dans l’égalité. Il s’agit là d’une tâche collective qui n’est pas seulement celle du gouvernement.
Dans cette concentration de l’effort du gouvernement ivoirien sur la reconstruction des infrastructures matérielles économiques et financières, sur la reconstruction d’une administration efficiente dominée par le principe de compétence et de rationalité, nous voyons un souci de modernisation. Cette modernisation guidée par le sens du service de l’intérêt général a été largement négligée depuis des décennies. Et elle constitue un grave retard qu’il faut rattraper. En démocratie, les critiques doivent être constructives. Et elles ne le sont que si elles sont déterminées par le souci de défense du bien commun et de l’intérêt général, et mises en œuvre dans l’indépendance par rapport aux intérêts particuliers partisans et corporatifs.
Dans la mesure où les infrastructures économiques et sociales sont à la fois une base du développement social qui requiert un engagement collectif et un legs à la postérité, nous pouvons dire que le Président Alassane Dramane Ouattara est au service de l’intérêt général en Côte d’Ivoire. En nous plaçant sur le terrain du critère de la légitimité administrative, conquise par la réussite de la reconstruction du tissu économique et par le rétablissement de la sécurité – l’indice d’insécurité étant descendu de 3,8 en janvier 2012 à 1,6 au cours de ce mois de mai 2013 – rétablissement sécuritaire que la dernière attaque déjouée d’Abengourou vient rehausser, nous pouvons soutenir que le défi, lancé par l’ex-président ivoirien Gbagbo, a été pour le moment relevé avec succès par le président ivoirien actuel Alassane Dramane Ouattara.
Dr. Dieth Alexis
Vienne (Autriche)