Le premier forum des partis politiques, des médias et de la société civile en Afrique de l’Ouest a débuté mardi, à Cotonou (Bénin), pour quatre jours de travaux à fort potentiel explosif. A l’exception notable du Rassemblement du peuple togolais de Faure Gnassingbé, presque tous les partis de la sous-région, gouvernants comme opposants, ont répondu favorablement à l’invitation.
De notre envoyé spécial à Cotonou
C’est un énorme défi que s’est lancé le Club du Sahel et le Club de veille pour la paix en Afrique de l’Ouest. Réunir en forum plus de 200 représentants de partis, médias et associations des quinze pays de la Cedeao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), plus le Tchad, le Cameroun et la Mauritanie, du 28 juin au 1er juillet, à Cotonou (Bénin), pour débattre de la démocratie et de la paix. Des partis au pouvoir, mais également des opposants, des associations et syndicats affiliés à l’Etat ou qui le combattent. « Côté partis, nous n’avons à regretter presque aucun désistement. Et aucun des participants n’a émis de conditions à sa présence », s’étonne l’énergique présidente du Club du Sahel, Mme Thérèse Pujolle, toute heureuse de voir les retardataires compléter leurs délégations jusqu’à mardi soir. Concrètement, il s’agit de faire se côtoyer Front populaire ivoirien et Forces nouvelles, opposition tchadienne et membres du parti du Président Idriss Déby, nouvellement éligible à vie, dans l’avion, à l’hôtel, puis dans l’enceinte des débats.
Dans le clan mauritanien, « le voyage s’est bien passé, et nous sommes également tous ensemble à l’hôtel », expliquent Sy Abdoulaye, de l’Association mauritanienne des Droits de l’Homme, et Mohamed Abd Salam Filaly, représentant des étudiants mauritaniens. « Entre individus, le dialogue est possible, mais c’est face au pouvoir que nous nous heurtons à un mur », ajoute Sy Abdoulaye, en évoquant le déficit de liberté d’opinion et d’expression dans son pays. Intervenant brièvement au pupitre lors de l’ouverture du forum, le secrétaire exécutif du parti au pouvoir (Parti républicain démocratique et social, PRDS) a expliqué sous les applaudissements ironiques et anticipés de l’audience, réunie en plénière, que son pays a choisi sa propre voie dans les années 1990, refusant d’organiser une « conférence nationale », comme cela s’est fait ailleurs en Afrique, et qu’il était aujourd’hui « un pays démocratique ». Bodiel Ould Homeid est ensuite allé se rasseoir aux côtés d’Ahmed Ould Daddah, candidat aux présidentielles de 2003 et l’un des plus anciens opposants au pouvoir en Mauritanie.
Incontournable Togo
C’est que dans le monumental Palais des Congrès qui surplombe au loin l’océan Atlantique, gouvernants et opposants sont invités à mettre leurs divergences particulières en sourdine pour partager leur expérience avec leurs homologues. Chose difficile dans certaines crises chaudes, comme celle qui touche le Togo voisin. Le Rassemblement du peuple togolais (RPT) de Faure Gnassingbé absent des débats, Jean-Pierre Fabre, secrétaire-général de l’Union des forces de changement (UFC), a égratigné la Cedeao pour sa gestion de la crise togolaise lors de la séance de débats. Le général Cheick Oumar Diarra, secrétaire exécutif adjoint aux Affaires politiques, de défense et de sécurité de la Cedeao, lui a répondu point par point, après avoir défendu le « bon travail » de son organisation en Guinée-Bissau, puis en Côte d’Ivoire, où « elle n’a pas démérité ». Sur la requête de l’opposition consistant à repousser la date du scrutin présidentiel pour mettre à jour des listes électorales caduques, la Cedeao s’en est tenue à l’ordre constitutionnel. Elle n’a accordé que dix jours pour leur réexamen, même si elle les savait « peu crédibles », indique le général malien, faisant s’esclaffer Jean-Pierre Fabre.
Quant au fameux soldat filmé par RFO (Radio-télévision France Outre mer) en train de transporter une urne, il la « protégeait » contre les « tentatives de destructions ». Le refrain entonné par la Cedeao et répété hier : « Les irrégularités en cause n’ont pas affecté le résultat final », provoque l’ire et les « ouh » des quatre compères togolais, dont Fabre, qui prépare sa riposte. Pour preuve de son équité, l’offensif général Diarra évoque les critiques dont la Cedeao a été l’objet de la part des deux camps. Avant de conclure : « Nous ne souhaitions pas tous ces morts. Nous pensons qu’il y a un déficit démocratique au Togo mais que la solution est dans les mains des Togolais. Nous n’avons pas eu ce que nous voulions ». Sans provoquer l’émotion des opposants togolais, auxquels le facétieux président de séance, Ali Nouhoum Diallo, président du parlement de la Cedeao, n’accordera pas de droit de réponse pour ne pas transformer le forum en séminaire sur le Togo.
Pourquoi le Bénin
Les organisateurs souhaiteraient ne pas trop voir se répéter ce type de discussions. Leur but : provoquer un débat constructif en décloisonnant les trois catégories d’acteurs invités – politiques, associations et médias – et créer des synergies régionales. Pour se faire, ils ont choisi d’organiser des commissions de travail ne mêlant pas ces acteurs, les résultats de leurs discussions étant exposés en séances plénières.
Si ce premier forum du genre a été organisé au Bénin, c’est parce que le « pays est pionnier dans les évolutions démocratiques intérieures des années 1990, dispose d’une société civile active et a développé une presse privée dès 1987 », explique Normand Mauzon, le directeur du Club du Sahel. Le Président Matthieu Kérékou, qui laisse planer le doute sur une modification constitutionnelle qui lui permettrait de se présenter aux présidentielles de 2006, devait inaugurer l’événement. Mais il s’est fait représenter par son ministre de la Défense.
« Les vices » des partis, des associations et des médias
Pierre Osho a tracé sans complaisance les axes de travail des participants. « Le processus démocratique est en marche, même si ce n’est pas sans tâtonnements et trébuchements, parfois tragiques », a-t-il entamé. Avant de s’en prendre aux principaux acteurs invités : « d’innombrables groupes se sont constitués en partis sans se donner les moyens d’assurer leur rôle et ils sont toujours dans une logique d’affrontement pour les avantages matériels procurés par l’Etat ».
La société civile, poursuit-il, « est atteinte des mêmes vices. Souvent obnubilée par la politique, elle est tout simplement recrutée par ce milieu plutôt que d’assurer sa mission d’impulsion constructive de la société. La multiplication et l’épanouissement des médias est sans doute un signe de vitalité démocratique, mais elle est l’objet de dérives répétitives et nécessite une thérapie en profondeur pour pouvoir jouer son rôle. On dit que les systèmes politiques ont la presse qu’ils méritent ; la démocratie a besoin d’une presse entièrement libre, mais aussi de journalistes techniquement compétents et moralement intègres, associant un haut esprit patriotique et conscients de leur rôle d’éveilleurs de consciences citoyennes. » S’il a suscité quelques éclats de rires jaunes, le discours du ministre de la Défense a été très applaudi. A la suite de cette intervention, devait débuter un débat faisant intervenir des personnalités pré-inscrites. Un procédé que toute l’audience a rejeté pour son caractère « non démocratique » ! Elle obtiendra gain de cause. Un bon exercice pratique.