Nizar Kabbani traduit par Mustapha Saha
Mon fils m’apporte sa palette de couleurs.
Il me demande de peindre un oiseau.
Je trempe le pinceau dans la couleur grise.
J’esquisse un carré.
Avec des barreaux et des verrous.
Mon fils me dit étonné :
Mais, c’est une prison, père.
Tu ne sais pas dessiner un oiseau ?
Je lui réponds : Je ne sais plus comment sont faits les oiseaux.
Mon fils m’apporte sa palette de couleurs.
Il me demande lui peindre la mer.
Je trace un cercle noir.
Mon fils me dit déconcerté :
Mais, c’est un cercle noir, père.
Tu ne sais donc pas que la mer est bleue ?
Je luis réponds : Autrefois, je savais dessiner la mer.
Mais, on m’a saisi ma canne à pêche.
On m’a pris mon bateau.
On m’a interdit tout contact avec la couleur bleue.
On m’a interdit de parler au poisson de la liberté.
Mon fils m’apporte sa palette de couleurs.
Il me demande de crayonner un épi de blé.
Je dessine un revolver.
Mon fils me dit interloqué :
Tu ne sais pas faire la différence entre un épi de blé et un revolver?
Je lui réponds : Autrefois, je savais comment était un épi de blé.
Autrefois, je savais comment était une galette de pain.
Autrefois, je savais comment était une rose.
Mais, en ces temps métalliques, les arbres sont enrôlés dans les milices.
La rose est en tenue léopard.
En ces temps d’épis armés, d’oiseaux armés, de culture armée.
Je n’achète pas une galette de pain sans y trouver un revolver.
Je ne respire pas une rose sans qu’elle me menace de son arme.
Je ne feuillette pas un livre dans une librairie sans qu’il m’explose dans les mains.
Mon fils me demande de lui dire au moins un poème.
Je verse une larme en silence.
C’est une larme père, ce n’est pas un poème.
Je lui réponds : Un jour, tu sauras que les mots poème et larme sont synonymes.
Le poème arabe n’est qu’une larme qui coule d’une plume orpheline.
Traduction Mustapha Saha