«Quelle recette miracle pour les banlieues françaises ?», m’a demandé il y a quelques semaines un haut représentant de l’Etat en charge de l’intégration. Il m’avait convié à échanger sur les problématiques des quartiers défavorisés et sensibles avec trois de ses collaborateurs. Pendant plus d’une heure, nous avons passé en revue les difficultés des femmes, le décrochage scolaire, la délinquance juvénile, etc. De solution, nous n’en avons point accouché. Et avons décidé de nous en remettre aux acteurs locaux. Ceux, qui sur le terrain, au quotidien, essaient d’atténuer les frustrations des jeunes; de remotiver des mères dépassées; et de convaincre des pères lassés de regagner leur autorité sapée.
Combien d’initiatives ont été mises en place depuis la marche Black-Blanc-Beur pour l’égalité de 1983 pour ramener les principes d’égalité républicaine dans les cités ? La dernière en date, le plan Espoir Banlieue de la secrétaire d’Etat à la ville Fadela Amara, lancé en 2008, devait insuffler de l’optimisme; donner du travail à ceux qui en cherchaient; inciter ceux qui s’étaient résignés à croire de nouveau à l’égalité des chances; créer des possibilités. Il a au contraire enfoncé le désespoir des jeunes et laissé les politiques sans idée.
Un an plus tard, le taux de chômage des jeunes des banlieues est de plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale, les actes de délinquance continuent de grimper et combler le fossé entre cette France-là et celle d’en haut s’apparente désormais à un tonneau des Danaïdes. Ce plan qualifié en son temps de Marshall a été rebaptisé Désespoir Banlieue. C’est dire le fatalisme qui règne dans ces quartiers où les jeunes de moins de 25 ans constituent la majorité de la population.
Lors du quatrième anniversaire des décès de Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, morts électrocutés après une course-poursuite avec la police en 2005, à l’origine de trois semaines d’émeutes dans les banlieues, j’ai eu une conversation avec Samir Mihi, le président de l’association Au Delà des Mots, fondée en mémoire des deux adolescents. «Si on veut récupérer cette jeunesse», me dit M. Mihi, «il faut déjà leur apprendre ce qui est interdit et ce qui ne l’est pas ; ce qu’il est autorisé de faire et ce qu’on ne fait pas. Malheureusement personne ne le fait, parce que tout le monde a peur.»
Et si Samir Mihi avait raison ? Et si nous étions tous responsables de cette marginalisation des jeunes des cités ? De cette ligne Maginot entre deux France: celle des immigrés-banlieusards tenus éloignés dans leurs ghettos constitués de barres de béton et celle des Français de souche ?
J’ai rapporté les propos de Samir Mihi à un ami. Je lui ai demandé s’il oserait demander à une « caillera » qui a les pieds posés sur un siège dans le métro de les y enlever ? S’il pourrait lui demander de baisser le volume de son Ipod qu’il aurait très fort dans le bus ? S’il oserait séparer deux jeunes de cités qui «s’embrouilleraient» devant un magasin ?
Non, m’a-t-il répondu. Pourquoi ? ai-je rétorqué. Parce que j’aurais trop peur.
Et si c’était des jeunes blancs ?
Oui -Pourquoi ? -Parce que….
Il m’a alors raconté une anecdote. En sortant d’un magasin au centre de Paris, lui et un de ses amis sont tombés sur deux jeunes noirs qui squattaient la rambarde d’un escalator. Son ami, qui est noir, s’est approché des deux jeunes et leur a grosso modo fait comprendre que leur attitude n’était pas indiquée. A la surprise de mon ami, les deux jeunes ont mis fin à leur jeu.
Tu comprends, il est noir. Moi je ne l’aurais jamais fait. J’aurais eu peur, m’a expliqué mon ami.
Peur de me faire battre, peur de me faire agresser, peur qu’ils se retournent contre moi. En un mot, toutes les craintes diffuses qui accompagnent les clichés raciaux.
Pourtant, me confie mon ami, « chaque fois que je viens à Paris et que je cherche mon chemin, je préfère demander à une ‘caillera’, et ça marche toujours. Car elle a l’impression de servir à quelque chose; de faire partie de la société ».
Justement est-ce que a contrario ne rien dire quand un jeune des cités hausse le volume de son Ipod dans un bus ou dans le métro, ce n’est pas le confiner dans ce costume social, qui conforte nos préjugés ? N’est-ce pas lui signifier qu’il n’est pas de notre « monde » ? Notre indifférence coupable n’est-elle pas ce qui affaiblit les différents plans d’aide destinés aux banlieues ?
Et si on commençait par dire « Non, désolé, pouvez-vous baisser le volume de votre musique ? » à une caillera ? « Pouvez-vous enlever vos pieds du siège, je voudrais m’asseoir ?» au lieu de rester debout parce qu’on n’ose pas et qu’on estime que ces gens-là ne comprennent que la loi ou la violence et ne sont pas comme nous ? Et si au lieu de les renvoyer à un face-à-face avec la police, on disait «Non» quand un jeune enfreint une règle du savoir-vivre ensemble ? C’est peut-être là le plan Marshall des banlieues, qu’on recherche depuis des décennies.