Admiration et fanatisme, chaque sortie de Werra Son soulève les foules et déchaîne les passions. Véritable stratège marketing, l’artiste congolais a développé son image avec audace et ingéniosité. Plongée au cœur de la machine Werra.
Fespam 2003, Brazzaville. Agitation à la réception de l’hôtel Méridien. Brouhaha et remue- ménage, bousculade : le Roi de la forêt arrive[[<1>Surnom de Werra]]. Werra Son. L’un des quatre ténors de la musique congolaise[[<2> avec Koffi Olomidé, Papa Wemba et JB Mpiana]], mais assurément le plus médiatique et le plus apprécié du public, fait son entrée. Une entrée très remarquée. Comme d’habitude. Dehors, une dizaine de taxis plein à craquer. Un fan-club surexcité qui donne le tournis au garde-barrière dépassé par les événements. Ils veulent voir leur star. Ils veulent le saluer, être pris en photo avec lui ou tout simplement se trouver dans l’ombre de son aura. Pourquoi une telle idolâtrie ? Tout ne s’explique pas par le talent, mais découle d’une stratégie marketing hors pair.
Wenge Musica tout-terrain 4X4 BCBG. Un nom à rallonge pour un groupe de quartier qui enflamme tout Kinshasa. Les deux leaders : JB Mpiana et Werra Son, déjà surnommé le Roi de la forêt, ont grandi ensemble et habitent la même rue. Mais de frictions en désaccords, le groupe se sépare en 1997. JB Mpiana part avec tous les musiciens, Werra se retrouve seul avec deux autres membres du groupe dont le fondateur du grand Wenge, Didier Massela. D’où le nom de sa nouvelle formation : Wenge Maison Mère. Jouant sur l’affect du public et la sensibilité des Kinois, il affiche dans les médias une image de victime, poignardé dans le dos par son ancien frère d’armes. Et ça marche. Il s’attire un capital sympathie qu’il ne manque pas d’exploiter.
L’ami des pauvres
Issu du peuple, le groupe Wenge originel s’était quelque peu embourgeoisé. Après la scission, Werra décide de retourner à la base : la rue. Les enfants des rues sont légion à Kinshasa, il va à leur rencontre. Organise de grands repas avec eux, leur offre de l’argent, des habits, des cadeaux, comme des kits de cirage pour qu’ils puissent travailler et gagner honnêtement un peu d’argent. Leur reconnaissance est immense, Werra devient le héros des pauvres et des laissés pour compte. Il a d’ailleurs créé il y a deux ans sa propre fondation : la fondation Werra Son. Sa légitimité populaire est définitivement installée.
Le Roi de la forêt joue sur l’élément sportif pour entretenir son indéfectible vivier de fans. Il existe trois grands clubs de football dans la capitale congolaise : Vita club, Imana[[<3>Les deux clubs sont issus d’une même formation. Des anciens joueurs d’Imana, lassés de cirer le banc, ont décidé, en 1948, de monter leur propre équipe. La rivalité est depuis sans limite.]] et Bilima (« Dragon », en lingala). Au retour d’une tournée européenne, le chanteur rapporte trois autobus Mercedes qu’il compte offrir à chacune des équipes. Un don qu’il médiatise longtemps à l’avance par un matraquage publicitaire où il annonce qu’il remettra les véhicules aux clubs au cours de son grand concert à l’immense Stade des Martyrs[[<4>80 000 places assises, plus les places debouts sur la pelouse du stade]]. Le stade sera plein à craquer. Et les jeunes des rues et les fans du Vita, d’Imana et de Bilima font le déplacement pour assister au spectacle.
Le tour de la ville en Caterpillar
Mieux qu’une affiche, qu’un spot radio ou télé, Werra met lui même la main à la pâte pour assurer son marketing. Et ses entrées au stade sont toujours des plus spectaculaires. Il innove et fait preuve d’une remarquable imagination. Comme faire le tour de la ville en Caterpillar (engin de travail), ou en moto à la Johnny Hallyday, ou bien encore juché sur un cheval. Et ça marche. Il draine à chaque fois derrière lui de véritables marées humaines de fans et de badauds. Une foule parfois difficile à gérer. Comme à l’occasion de son dernier concert au Stade des Martyrs ou les fans ont réussi le tour de force de défoncer l’impressionnant portail du stade.
La communication à la Werra fait des émules parmi les autres artistes. Tant et si bien qu’elle est devenue un élément indispensable du marketing culturel à Kinshasa. Koffi Olomide a suivi ses traces. Il a fait le tour de la ville à bord d’un véhicule de luxe. Et sachant qu’il ne jouit pas de la même image populaire de Werra, il a jeté sur son passage des billets de banque. Mais du carré d’as de la musique congolaise, Werra est celui qui démontre le plus souvent et de la manière la plus éclatante sa popularité. Le Roi de la forêt n’a pour l’heure que des vassaux.