Les autorités algériennes sont finalement parvenues à faire chuter le directeur du quotidien privé Le Matin, Mohamed Benchicou, condamné lundi à 2 ans de prison ferme. Non pas pour son travail de journaliste, mais en prétextant une affaire financière de transport illégale de fonds.
Deux ans fermes. C’est le verdict qu’a rendu lundi le tribunal d’El-Harrach, à Alger, contre le directeur du quotidien privé Le Matin. Mohamed Benchicou n’est pas en cause pour les multiples affaires révélées par son journal et qui ont éclaboussé, depuis deux ans, le Président Abdelaziz Bouteflika et son inamovible ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni. Ni même pour son grossier pamphlet contre ce même chef de l’Etat, publié en février dernier, juste avant les présidentielles d’avril 2004, interdit puis vendu sous le manteau. Benchicou a chuté pour « infraction régissant le contrôle des changes et les mouvements des capitaux ».
Mais peu de personnes croient vraiment en Algérie à son incarcération pour de simples raisons financières. Sauf sans doute l’entourage présidentiel, dont le ministre de la Justice, M. Tayeb Belaïz, qui a réagi dès mardi lors d’une réunion avec des magistrats, à Alger, pour déclarer que l’emprisonnement du directeur du Matin « n’a rien à voir avec la presse, la liberté d’expression ou la politique ». Mais qu’il s’agit « d’un procès ordinaire de droit public ».
« Cabale juridique »
Le journaliste du Matin Nadir Benseba, qui s’exprime au nom du Collectif de soutien à Mohamed Benchicou, n’en démord pourtant pas. « Cet emprisonnement répond à une cabale juridico-policière montée depuis un an et demi par la personne du ministre de l’Intérieur. C’est lui même qui a ordonné à ce que l’on coince M. Benchicou ». Yazid Zerhouni avait été directement mis en cause, dans le quotidien algérien, pour avoir commandité la torture d’un pharmacien algérois qui refusait de céder son échoppe à Mme la ministre. M. Zerhouni avait alors nié les faits en jurant de « faire payer Le Matin et son directeur ». Mais sans jamais porter plainte, selon Nadir Benseba. Pas plus que le chef de l’état, régulièrement mis en cause par le journal, durant l’été 2002, dans des scandales financiers. Notamment dans l’affaire Orascom, qui engagerait un ami proche du Président, en la personne de l’homme d’affaires émirati Mohamed al Shorafa.
« Nous savons que nous sommes justiciables. Au contraire, nous aimerions que des procès nous soient intentés sur notre contenu éditorial, afin que nous puissions aller au fond de certaines affaires », explique-t-on, sur toutes ces questions, au siège du Matin. Au lieu de cela, les autorités ont d’abord cherché à fermer cinq journaux privés, le 18 août 2003, en les empêchant de sortir leur produit dans les imprimeries d’Etat pour dettes impayées. Sans succès.
« Nullité de la procédure »
C’est dans le même mois que Mohamed Benchicou a été intercepté à l’aéroport Houari Boumediène, à Alger, de retour de France, avec un carnet de chèque et 13 bons d’une valeur de 11 700 000 DA (142 000 euros) – il expliquera à l’audience qu’il voyageait toujours avec ces bons, par mesure de sécurité. Les douaniers les lui restituent en le laissant partir, mais le rattrapent pour effectuer une photocopie de ses papiers d’identité. Dès le 26 août, le directeur du Matin est entendu par la police pour « transfert illégal de capitaux ». Aucun procès-verbal de constatation n’a pourtant été établi contre lui lors de son interpellation à l’aéroport d’Alger. Selon le quotidien El-Watan, le responsable des douanes, Sid Ali Lebib, a même saisi le Premier ministre et le chef des services de renseignements, dès le 25 août, pour « attester de la nullité de la procédure et de l’absence de toute infraction ». Il sera rejoint dans son analyse par le syndicat des douanes. « Même un policier qui intervenait en tant que témoin à charge, dans le procès, a expliqué que c’était la première fois qu’il traitait d’une telle affaire », raconte Nadir Benseba. Des témoignages que la présidente de la cour n’a pas pris en compte.
Les avocats de M. Benchicou ont annoncé que leur client faisait appel de sa condamnation. En attendant, il reste incarcéré dans la prison des « Quatre hectares » d’El-Harrach. Quant à la rédaction du Matin, elle ne se sent « absolument pas fragilisée, selon Nadir Benseba. Nous sommes convaincus du bien fondé de notre travail et la mobilisation est importante autour de nous, explique-t-il. De la part d’associations de la société civile, d’hommes politiques ou encore d’organisations internationales, qui nous manifestent quotidiennement leur solidarité ».