Le film de Guy Deslauriers et de Patrick Chamoiseau raconte l’horreur de la traite des noirs pour mieux en dénoncer ses manifestations contemporaines. Entre fiction, documentaire et cri poétique, le film se perd un peu. C’est une fois son intention dévoilée qu’il gagne en envergure.
Dans le triangle infernal du commerce négrier qui, durant quatre siècles, vit la déportation de 250 millions d’Africains vers le nouveau monde, il est un côté que les négriers nommaient » le Passage du milieu » : la route empruntée par les bateaux européens, les cales pleines à craquer de » bois d’ébène « . De l’Afrique originelle aux champs de canne à sucre des possessions américaines, une route maudite, jonchée de corps flottants, ballottés par une houle bleuâtre que seuls les requins viennent perturber, traçant de leurs funestes ailerons noirs, des sillons écarlates dans la glaire des écumes.
En focalisant le film sur ce passage, le réalisateur martiniquais, Guy Deslaurier et l’écrivain Patrick Chamoiseau, dont la voix lancinante ne s’éteint pas durant les 85 minutes du film, ont tenté un difficile travail d’hommage et de mémoire.
Le Passage du milieu est un voyage, entre documentaire et fiction. L’essentiel se passe sur un fringant voilier battant pavillon tricolore. La caméra prend le temps de noter les détails : l’embarquement. Les fers. Les cales. Les rats. Le vomi. La fièvre. La bouillie. Les blessures. Les asticots. La révolte. Les coups de feu. Les blessures. Et le ballet quotidien des corps que les négriers envoient par le fond : une vingtaine en moyenne, par nuit. Les suicidés d’abord. Les malheureux emportés par la maladie ensuite. Enfin, les agonisants, les épuisés et même, les bien portants lorsque le vent faiblit et que la disette s’empare du navire.
Aujourd’hui encore
Mais à hésiter entre détails documentés et allégories lyriques, le film ne parvient pas à l’osmose des genres. Ce sentiment d’inachevé se dissipe lorsque le message final apparaît en point d’orgue, avec cet enfant en sweet-shirt contemplant un paquebot moderne. Deux siècles ont passé. Mais la traite du nègre se perpétue encore. Le Passage du milieu s’appelle aujourd’hui filières d’immigrations clandestines, les négriers, passeurs.
Et c’est alors que le cri de révolte sonne juste. Dans son absence totale d’esprit de vengeance, la plainte se mue en avertissement. Modernité de cette charge contre les » les princes d’Afrique » et leur » aveuglement « . Modernité de ces traits décochés à ce roi du Dahomey qui dévaste le pays pour fournir » les étrangers couleur de mort » en esclaves jeunes et sains. Modernité de ce constat africain : » Je parle d’un continent qui perd ses enfants aux quatre vents « . Modernité du constat d’impunité au moment même où la planète tente de se doter d’une justice universelle : » Quand les coupables sont trop nombreux, l’éventualité d’une justice rendue se dilue d’autant « . C’est dans l’espoir d’une prise de conscience continentale que » Le Passage du milieu » s’est reconstitué sur celluloïd, et que ces millions de » fantômes de nègres hirsutes réclamant justice » ont retrouvé leur » voie « .