L’Etat nigérian de Kano a porté plainte la semaine dernière contre l’entreprise pharmaceutique Pfizer pour avoir, en 1996, « secrètement utilisé des enfants comme cobayes dans les tests d’un médicament ». Il réclame 2,75 milliards de dollars d’indemnités à l’entreprise américaine, qui a déjà rejeté, en 2006, les accusations dont elle était l’objet.
« Comportement anti-éthique, comportement délictueux, complot, dissimulation et mort de victimes innocentes » comptent parmi les 29 chefs d’accusation retenus par la justice nigériane contre Pfizer. L’Etat de Kano (nord) a porté plainte la semaine dernière contre le plus grand groupe pharmaceutique du monde pour avoir en 1996 « secrètement utilisé des enfants comme cobayes dans les tests d’un médicament sous le prétexte de l’aide humanitaire ». Il a réclamé 2,75 milliards de dollars d’indemnités à l’inventeur du Viagra. Les premières auditions ont été fixées au 4 juin prochain.
Selon l’accusation, Pfizer a effectué en 1996 de façon illégale l’essai clinique d’un médicament appelé Trovan Floxacine sur 200 enfants atteints de méningite à méningocoque. 99 d’entre eux l’ont reçu pendant que 101 autres ont pris le ceftriaxone, le médicament standard le plus utilisé dans le traitement de la méningite. A l’issue du processus, 11 enfants sont morts (5 ont pris le premier produit, 6 le second) et de nombreux autres ont subi des séquelles : surdité, paralysie, lésions cérébrales ou cécité. Pfizer était intervenue alors que le Nigeria connaissait la plus terrible épidémie de méningite de son histoire, qui avait fait près de 16 000 morts.
« L’exploitation de l’ignorance »
Après que le Washington Post a révélé fin 2000 les circonstances troubles dans lesquelles les essais auraient été effectués, les parents des victimes ont attaqué la firme en justice à Kano et à New York. Ils l’accusaient de ne pas les avoir clairement informés de la nature de l’expérimentation démarrée avec leurs enfants et des risques qui y étaient liés, ni de leur droit de la refuser pour un autre traitement déjà usité. Mais les procédures n’ont jamais abouti.
L’affaire a rebondi le 6 mai 2006 lorsque le Washington Post a exhumé le rapport d’un comité d’experts nigérians vieux de cinq ans, jamais rendu public et sur lequel les avocats new-yorkais n’avaient jamais pu mettre la main. Le comité dénonçait « l’exemple clair de l’exploitation de l’ignorance » dans cet « essai illégal d’un médicament non enregistré » et qui n’avait jamais été testé sur des enfants atteints de méningite. Il recommandait que Pfizer soit « sanctionné de manière appropriée », fasse des « excuses sans réserve », paye des indemnités et que l’Etat nigérian engage des réformes afin que de tels pratiques ne se reproduisent plus.
Le panel de scientifiques faisait remarquer qu’il n’existait aucun document indiquant que les parents des enfants avaient été informés de l’expérience à laquelle leurs enfants prenaient part, pas plus qu’il n’y avait de trace indiquant le feu vert du gouvernement pour son lancement. Selon leurs conclusions, Pfizer a violé la loi nigériane, la déclaration internationale d’Helsinki qui régit l’éthique des recherches médicales et la Convention des Nations Unies sur les droits des enfants.
L’expérience « a sauvé des vies »
En réponse, le géant pharmaceutique a publié dans la foulée un communiqué dans lequel il « s’insurge contre [les] allégations récemment publiées ». Il indique que le médicament testé en était à sa « dernière phase de développement clinique » et qu’il « avait déjà été évalué chez 5 000 patients » – sans préciser leur âge. Il assure également que « le protocole de recherche clinique [établi était] conforme aux standards internationaux ainsi qu’à la réglementation nigériane ». Pfizer insiste sur le fait que l’opération a sauvé des vies – le communiqué en anglais est intitulé Study saved lives… – et que le rapport était favorable au nouveau produit : 94,4% des enfants qui l’ont reçu ont survécu, contre 93,8% de ceux qui ont été traités avec le produit de référence.
L’entreprise admet par ailleurs n’avoir communiqué les informations sur l’expérimentation qu’à l’oral, en anglais et en haoussa, et souligne que celle-ci a été conduite par un médecin nigérian. Le problème est que ce médecin, Abdulhamid Isa Dutse, « n’était le principal responsable de l’étude que par le nom », selon le comité de spécialistes nigérians. Lui-même a affirmé à ces derniers qu’il n’était pas tenu au courant de toutes les conclusions et que des données ont été communiquées par l’équipe de chercheurs américains qui lui étaient subordonnés sans lui avoir été présentées. Par ailleurs, Pfizer s’est longtemps appuyé sur l’accord du comité éthique de l’hôpital de Kano pour signifier avoir eu le feu vert des autorités. Le groupe pharmaceutique n’a reconnu qu’en 2006 qu’il s’agissait d’un document antidaté.